Définitions et réflexions : droit médical et droit de la santé

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique Perspectives, Variations

Le droit médical et le droit de la santé ne sont pas des disciplines officiellement définies dans notre législation. Pour la majorité des auteurs, ils ne sont même pas reconnus comme des spécialités à part entière. En donner une définition paraît être bien délicat tant de nombreux domaines de la santé comme du droit sont concernés par cette notion qui évolue sans cesse.

Penser que le droit médical se résume à quelques articles du code de la santé publique est une erreur. Quant à vouloir faire une liste exhaustive des domaines du droit qui concernent celui de la santé, ce serait une gageure.

Justice aveugle et santéIl suffit pour s’en convaincre de s’intéresser aux programmes des différents diplômes universitaires sur le sujet qui se sont multipliés au fil des années au sein des facultés de médecine et des universités de droit.
Il n’y a pas d’unicité, mais une transversalité de ces disciplines.

L’histoire du droit médical prend ses racines dans l’antiquité. Les praticiens et les patients se sont contentés pendant longtemps de la simple déontologie médicale. Symbole des devoirs des médecins, le fait de prêter le serment d’Hippocrate, dans sa forme d’origine, suffisait 7 à affirmer son désir de respecter les règles. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, que la déontologie va céder le pas à la loi sous la forme d’un décret qui va assurer le transfert de la définition des devoirs des médecins au législateur. Le dernier mot quant à l’application du code de déontologie, malgré les apparences données par le conseil de l’ordre des médecins, incombe maintenant aux juges. La déontologie n’a pas empêché les règles du droit commun de s’appliquer au droit médical du XXe siècle. Qu’en sera-t-il au XXIe ?

La confiance collective a disparu

Il est d’autant plus difficile de donner une définition du droit médical que la perception de la société à ce sujet évolue. Le médecin en qui l’on a une confiance aveugle, notable à qui l’on confie tous ses maux, dont on n’imagine pas contester l’autorité que l’on soit juge ou patient, a disparu. Cette situation ne pouvait être éternelle de par les dérives qu’elle a pu engendrer et par les jalousies qu’elle n’a pas manqué de fédérer à son encontre. Les mandarins méprisants et le paternalisme ont vécu.
Les progrès de la médecine donnent une impression de facilité. La guérison que l’on promet au patient et que l’on obtient sans que cela n’étonne plus personne ont fait évoluer les mentalités. Guérir est devenu un dû.
En perdant un aspect divin ou magique et en revenant à une médecine basée sur des études scientifiques à grande échelle et sur les preuves, la médecine s’est trouvée exposée plus que jamais au droit ou plutôt à l’absence de droit à l’erreur. Il n’y a plus de place pour l’inconnu. Comment accepter qu’un praticien puisse ne pas réussir une intervention qu’il a présentée comme simple et facile ? Comment tolérer que le traitement médicamenteux que l’on présente comme un remède infaillible puisse se révéler délétère ? Comment expliquer au patient qu’un médicament peut être dangereux alors que bon nombre d’entre eux sont maintenant en vente libre au sein des pharmaciens ?
Oubliées les longues années de formation pour en arriver à un geste qui paraît si simple lorsqu’il est présenté dans les médias ou négligé le temps nécessaire au développement d’une molécule qui sauvera des milliers de patients, mais en tuera quelques-uns. De nouvelles obligations voient le jour, comme l’obligation d’information. L’obligation de moyens, quant à elle, cède le pas petit à petit à l’obligation de résultat. La charge de la preuve bascule du patient au médecin…

Du droit de la santé au droit à la santé

Une autre évolution sociale a révolutionné la perception du droit médical. Un discours politique basé sur un égalitarisme forcené et sur un assistanat omniprésent a généré de nouvelles valeurs. La médecine doit être gratuite pour certains, peu importe qu’elle ait un coût.Médecin et argent Or l’on est souvent plus exigeant avec ce qui est gratuit qu’avec ce que l’on a acquis avec difficultés. Pourquoi respecter ce que l’on considère comme sans valeur ? Le système français de remboursements est ambigu sur ce point. Une politique reconduite par des gouvernements d’horizons divers a conduit à un déficit record de l’assurance-maladie. Les honoraires du médecin étaient une cible de choix. La démagogie fait oublier l’investissement financier nécessaire à une pratique médicale de pointe dans de multiples spécialités, la juste récompense d’un travail et d’une expérience acquise au bout de plus de dix ans d’études, des horaires de présence imposée par les besoins de la population démesurées afin d’assurer la continuité des soins et la responsabilité engagée à chaque acte réalisé. Mais ce discours est en train d’évoluer et les pouvoirs publics tentent de responsabiliser à nouveau le patient. Si le patient exige une responsabilité pleine et entière du médecin, il a du mal à accepter qu’on lui demande d’être responsable lorsqu’il s’agit de ses propres soins.

L’évolution de la société fait aussi que l’on confond de plus en plus droit de la santé et droit à la santé.
D’autres concepts changent, eux aussi. Par exemple, d’une idée légitime d’égalité à l’accès aux soins pour tous, une évolution se fait vers l’idée que tous les patients sont égaux face à ma maladie. Les recommandations de bonne pratique semblent donner un mode d’emploi universel, à tel point que le cas atypique fait courir un risque au médecin et fait planer un doute sur le remboursement des soins. De simples recommandations sont devenues opposables au praticien 13. Ces textes ne sont pourtant basés que sur un état de la médecine à un moment donné et mettent des années avant d’être réévalués. De plus, ils répondent bien souvent à une pression économique.

La politique, le droit, le médecin et la santé

Le politique et surtout le politiquement correct se sont immiscés dans le droit médical et l’influencent. Il devient, par exemple, suspect d’étudier les effets d’un traitement ou le retentissement d’une maladie au sein de populations d’origines ethniques différentes. Lorsque que le recueil des données ethniques concerne les médecins, il n’y a, par contre, plus personne pour le trouver choquant, à l’image de ce que fait actuellement le General medical council 14.
Les recherches, tout particulièrement en génétique, ont réveillé de vieux démons et des peurs collectives. La recherche n’inspire plus la confiance dans notre pays, à tel point que « le retard de la France concernant les biotechnologies est patent lorsqu’on la compare au Royaume-Uni, à l’Allemagne voire à certains pays nordiques comme la Suède ». Et notre pays « ne parvient pas à inverser la tendance. Les entreprises de biotechnologie françaises n’ont pas atteint une taille suffisante pour devenir des acteurs significatifs de la bioproduction, et les offres de production de médicaments biologiques restent encore faibles en France (y compris auprès des grands acteurs internationaux), ce qui pourrait, en retour, pénaliser l’essor des PME innovantes » 10. La défiance est telle que les avis du Comité consultatif national d’éthique, qui a « pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé », prennent une valeur obligatoire 3.
Il faut dire que les politiciens ont appris à se méfier du monde de la santé. Le principe de précaution s’est imposé. Le « responsable, mais pas coupable » ne pouvait pas faire illusion longtemps. Les commissions et les rapports fleurissent, car il convient de mettre le maximum de relais possibles entre le décideur et le médecin. Peu importe si cela nuit à la pratique et à la prise en charge du patient. Résultat : de nouvelles obligations administratives tous les jours, impliquant une surabondance de textes et un imbroglio dans lequel le médecin se perd. Il lui est impossible de se tenir informé de ces évolutions incessantes, en plus de son obligation légitime de formation médicale continue, et le praticien se retrouve ainsi régulièrement en porte à faux face à des institutions qui se réfugient derrière pléthore de textes…
AugmentationAlors que jusqu’à ces dernières années, le médecin était traité à la même enseigne que n’importe quel citoyen en matière de droit pénal ou de droit civil, souvent par analogie de situation, des dispositions spécifiques au droit médical ont fait leur apparition. La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé « énonce pour la première fois des règles propres au droit médical, communes au droit privé et administratif » 3.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas d’augmentation du nombre de contentieux directs contre les médecins 3. Il est même possible de s’interroger sur la courbe de sinistralité 4 et sur la soit-disant augmentation des indemnisations 5. Quelques affaires très médiatisées auront suffi à peser sur les croyances collectives, principalement sur celles des médecins d’ailleurs. Les praticiens et les autres professionnels de santé ont pris peur, eux aussi, redoublant de prudence et demandant plus d’examens complémentaires dispendieux avant d’établir un diagnostic. Les médecins ont vu leurs primes d’assurance responsabilité civile s’envoler sur des fondements bien plus fragiles qu’il n’y paraît. Les assureurs, mis à mal dans bien d’autres domaines depuis le 11 septembre 2001, restent discrets à ce sujet. Il faut espérer que la transparence finira par régner.
Mais il faut aussi reconnaître que ce qui n’est qu’une idée reçue pour les médecins libéraux s’avère être vrai en ce qui concerne les établissements de santé 6. Les indemnisations auxquelles leurs assureurs ont eu à faire face ces dernières années semblent bien être en augmentation.

Un Art que tout le monde croit pouvoir posséder

Le droit médical et les médecins face aux juges pâtissent aussi du manque de connaissances des magistrats dans le domaine des sciences médicales. Comment serait-il possible de blâmer les hommes de loi pour cela ? Le droit est suffisamment complexe pour que l’on puisse leur demander d’être compétents en toutes choses. Le juge va devoir faire appel aux médecins experts et à la médecine légale pour l’aider. Loin des feuilletons où les experts résolvent les affaires les plus compliquées, cette collaboration entre médecins, scientifiques et justice a bien des limites. Le médecin expert est un praticien comme un autre, élève d’un courant de pensée comme il en existe beaucoup au sein du monde médical, influencé par sa formation médicale continue (quand il remplit ses obligations dans ce domaine…). Le médecin expert a parfois du mal à se contenter de répondre aux seules questions posées par le juge et il est parfois tenté d’orienter ses conclusions en fonction de ses convictions. Il est aussi souvent soupçonné de corporatisme, ce qui l’obligera à se montrer sévère à l’encontre de son confrère pour ne pas être suspecté de favoriser un pair. Il est humain, tout comme son confrère mis en cause, et il est donc faillible. Son avis n’est certes que consultatif et le magistrat n’est pas obligé de le suivre, mais il a souvent un poids majeur dans la décision finale.
La dernière tendance dont souffre le droit médical est la prépondérance donnée à l’économie face à la santé. Qu’il s’agisse du problème récurrent des économies de santé dont se sont emparés les politiques et les administrations ou qu’il s’agisse d’une crainte d’entraver la liberté commerciale des entreprises de ce secteur, la santé publique passe au second plan. Il suffit de s’intéresser aux consultations publiques réalisées par la Commission européenne ces derniers temps pour s’en convaincre, à tel point que la Société française des ophtalmologistes adaptateurs de lentilles de contact s’en est émue dans sa réponse à la consultation précédant la refonte des directives sur les dispositifs médicaux 12.

Comme il est délicat de définir…

Comme il l’a déjà été dit, rien n’est simple et donner dans ces conditions des définitions au droit médical et au droit de la santé est ardu. Des auteurs s’y risquent tout de même.

SilenceM. Penneau définit le droit médical « comme étant « l’ensemble des connaissances juridiques qui trouvent à s’appliquer dans l’exercice de la profession médicale » 3.

« Le droit de la santé est un ensemble, dont le droit médical est un élément, et le plus essentiel » 1 : c’est la citation choisie par G. Mémeteau dans son « Cours de droit médical » 2 pour faire la part des choses entre ces deux notions. Elle reflète l’évolution des mentalités au sein de la société depuis plusieurs années. Le droit restreint à l’exercice médical se noie maintenant dans le gigantisme du droit de la santé.

« Le droit de la santé comprend, d’une part, la réglementation des actions concernant l’objectif de santé, interdiction, incitation, « police » administrative de la santé ; d’autre part, l’organisation des services publics et des professions intervenant en matière de santé (D.A.S.S., hôpitaux publics, professions) et, enfin, les relations entre individus relatives à la santé (ex type : le contrat médical et ses suites telles que la responsabilité médicale), ainsi qu’une partie du droit de l’urbanisme (hygiène publique), de l’environnement […] » explique ce professeur de droit.

Plus que sur des textes précis, on peut penser que le droit médical et le droit de la santé continueront à évoluer et à prendre forme au gré des jurisprudences 8 avec, le plus souvent, un professionnel de santé dans le rôle de l’accusé. Ne plus faire confiance aux praticiens de base pour participer à l’élaboration des textes qui vont réglementer leur profession, n’est-ce pas synonyme d’échec ? N’est-il pas regrettable de laisser aux juges et au législateur le soin de réglementer un Art auquel ils ne connaissent que peu de choses ? Dans le domaine de la santé, tout comme il faudrait être patient avant d’être médecin, ne faudrait-il pas être médecin avant d’être juge ?

 

 


Références

1 – L. Roche, « Réflexions d’un médecin sur le droit médical », Cahiers de droit médical, 1, 8 juin 1981.

2 – G. Mémeteau, « Cours de droit médical » ; Ed. Les études hospitalières, 2e édition, p 68

3 – M. Penneau, « Le droit médical » sur le site de l’Inserm.

4 – B. Hue, J. Monet, « Les sinistres médicaux déclarés semblent moins nombreux que prévu« .

5. Rapport IGAS/IGF sur la responsabilité civile médicale sur le site de la documentation française.

6. J. Monet, « Le point sur la responsabilité civile professionnelle médicale en 2008« .

7. B. Hue, « Du serment d’Hippocrate au serment médical« .

8. C. Maignan, « Les fondements de la responsabilité médicale« .

9. F. Demichel, « Les défis actuels du droit médical face à l’éthique » ; colloque « Pratiques soignantes, éthique et sociétés« .

10. A. D. Little, « L’emploi dans l’industrie pharmaceutique en France », juillet 2008

11. Illustrations : © Falko Matte, © Andriy Solovyov, © Slavoljub Pantelic, © Muriel Lasure

12. « La Sfoalc répond à la Commission européenne » sur le site de la Société française des ophtalmologistes adaptateurs de lentilles de contact.

13. B. Hue, « Le piège des bonnes pratiques médicales« .

14. Sur le site du General medical council.

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Commentaires (2)

  • hadet

    |

    je suis actuellement infirmiere dans une clinique privé de multichirurgie.je souhaiterais savoir si il existe des recommandations quand au nombre de patients maximum qu’une ide peut avoir a sa charge dans un service de chirurgie que je qualifierais « moyenne » ( type varices, vesicule biliaire, prostate par voie endoscopique, plastie mammaire, thyroidectomie etc … chez nous dans un meme service vous pouvez avoir plusieurs chirurgie différentes d’une chambre a l’autre) ainsi que dans un service de surveillance continue ( les chirurgie les plus rencontrés etant de la cancerologie type prostatectomie radicale, colectomie, gastrectomie, mais aussi des chirurgie de l’obésité type sleeve ou bypass )
    merci de votre réponse
    caroline

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    • JoM

      |

      Il n’existe aucun texte concernant le nombre de patients par soignant dans les services de médecine ou de chirurgie.
      Seuls les réanimations, les soins intensifs (adultes, pédiatriques ou néonatologiques) et les établissement accueillant des enfants de moins de 6 ans sont soumis à ces règles.
      Les effectifs de sécurité doivent être calculés par les directions des soins afin que les règles de sécurité et de qualité des soins soient respectées.
      Il est également prévu que la chirurgie dite « sale » (digestif, ORL) ne rencontre pas les spécialités dites « propres » telles que l’orthopédie.
      En espérant avoir répondu à votre questionnement

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