Les sinistres médicaux déclarés semblent moins nombreux que prévu

Écrit par Bertrand Hue, Jérôme Monet le . Dans la rubrique Variations

Les primes d’assurance responsabilité civile professionnelle, des ophtalmologistes notamment, augmentent régulièrement ces dernières années. Mais qu’en est-il des sinistres déclarés ? Pour en savoir plus, nous avons étudié, depuis 1997, les chiffres publiés, presque tous les ans, par le groupement des assurances et mutuelles médicales (GAMM) auquel participent le Sou Médical et la mutuelle d’assurance du corps sanitaire français (MACSF). A vous de juger !


Quelques explications sont indispensables avant d’aller plus loin.

Les chiffres auxquels nous avons accès sont communiqués par les assureurs. Ils représentent habituellement des données stratégiques qu’il n’est pas bon de communiquer à ses assurés et à ses concurrents. En 2006, il n’existe pas de recueils de données faits par un ou des organismes indépendants.
S’intéresser aux données du GAMM peut être considéré comme significatif, sachant qu’il existe une situation de quasi-monopole en France si l’on en croit le Conseil de la concurrence1.
Les derniers chiffres connus concernent l’année 2005. Ils ont été publiés en 2006.
Les chiffres de 2004 ne sont pas disponibles ou ne le sont que de façon très parcellaire. Les années 2004 et 2005 ont été délicates dans le domaine de l’assurance responsabilité civile médicale, particulièrement dans le domaine de l’obstétrique.

Commençons notre étude par le nombre de sociétaires tous professionnels de santé confondus [A] et le nombre d’ophtalmologistes sociétaires [B].

évolution A
évolutio B

Comme on peut le constater, le nombre total de sociétaires du GAMM augmente régulièrement depuis 1997. Concernant les ophtalmologistes, il existe une certaine stabilité même si l’on a assisté à une chute d’environ 10 % de leur nombre depuis 2002. Ce déclin peut avoir plusieurs origines : de nombreux départs à la retraite, un transfert vers d’autres assureurs (même si ces derniers sont très peu nombreux), etc.

Le nombre de sinistres n’a pas augmenté, tous sociétaires confondus

Qu’en est-il du nombre de sinistres ? A en croire les médias grand public, la France est en prise à une véritable dérive à l’américaine. Les prétendues erreurs médicales font plus souvent la une que le travail rigoureux et monastique de la grande majorité des praticiens. Cette pression médiatique peut laisser penser aux patients et à leurs avocats qu’il existe un véritable eldorado judiciaire avec de grosses sommes d’argent à gagner. C’est oublier que la première à « bénéficier » des sommes accordées par les juges est la Sécurité sociale qui récupère l’argent qu’elle a déboursé concernant les actes jugés comme fautifs. Cela permet de comprendre pourquoi il n’est pas inintéressant pour celle-ci de prendre à sa charge une partie des primes d’assurance responsabilité civile des professionnels.

Tous sociétaires confondus [C], l’augmentation n’est pas celle attendue ! L’explosion du nombre de déclarations n’est qu’un fantasme. Il est intéressant de noter la part des déclarations faites par les ophtalmologistes dans cet ensemble.

évolution C

Peu ou pas d’augmentation des déclarations en ophtalmologie

Focalisons-nous plus particulièrement sur les ophtalmologistes [D].
Environ 25 % d’augmentation en neuf ans si l’on se contente de regarder les chiffres bruts de 1997 et de 2005, mais la moyenne de l’augmentation est en fait d’un peu plus de 11 %.

évolution D

Soyons honnêtes et allons plus loin en rapportant le nombre de déclarations au nombre de sociétaires ; tous dommages ophtalmologiques pour tous les sociétaires ophtalmologistes puis tous dommages confondus pour tous les sociétaires confondus [E].

évolution E

Il n’y a plus alors que moins de 2 % d’augmentation pour les ophtalmologistes et une diminution des déclarations lorsque tous les sociétaires sont confondus !

Le nombre de déclarations n’augmente pas pour l’ensemble des médecins

Contrairement aux idées reçues, le nombre de déclarations n’augmente pas pour l’ensemble des médecins alors que les primes n’ont cessé de grimper. Y aurait-il une autre raison ? L’explosion des sommes versées serait à l’origine du problème. Là encore, peu de chiffres et peu de recul puisque le GAMM ne fournit des données relatives aux indemnisations que depuis deux ans. Les assureurs commencent d’ailleurs à changer de discours et à nous dire que nous sommes passés d’une sinistralité de fréquence à une sinistralité d’intensité. Aucun organisme indépendant du monde de l’assurance ne recueille ces données.
Certes le Conseil de la concurrence a justifié l’augmentation des primes2,  mais de nombreuses mesures législatives ont été prises ces dernières années pour limiter le montant des indemnisations à verser par les assureurs. La loi évolue3et oblige désormais les assureurs à transmettre des chiffres à l’Autorité de contrôle des assurances et à l’Observatoire des risques médicaux mais rien ne dit ce que deviendront ces données et à quoi elles serviront concrètement pour les assurés si ce n’est, peut-être, à établir de nouveaux barèmes. C’est regrettable, car qui nous dit que l’augmentation du montant des indemnisations ne relève pas elle aussi du fantasme médiatique ? Une chose est certaine : les ophtalmologistes et les médecins ne rêvent pas lorsqu’ils sont obligés de payer plus pour leur responsabilité civile professionnelle.

 

 


1 – Décision n° 06-D-34 du 9 novembre 2006 relative à des saisines concernant le domaine de l’assurance de la responsabilité civile médicale.

2 – Voir l’article intitulé « Les primes de responsabilité civile professionnelle des médecins sont justifiées… » de Céline Marchand.

3 – Loi n°2007-127 du 30 janvier 2007 ratifiant l’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l’organisation de certaines professions de santé, à la répression de l’usurpation de titres et à l’exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique ; publiée au journal officiel du 1er février 2007.

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