Le forfait d’adaptation des lentilles de contact

Écrit par Bertrand Hue, Xavier Subirana le . Dans la rubrique Variations

Déjà pénalisés par les retards de remboursement des organismes sociaux dans la pratique quotidienne de leur spécialité, les ophtalmologistes le sont tout autant pour des actes hors nomenclature dont le non paiement incombe au seul patient.

 


Bien que ce sujet ne soit pas l’une des préoccupations majeures des contactologues, en cette période où la santé oculaire des Français est menacée par l’abandon progressif du dépistage propre au médecin par nos tutelles, il a semblé nécessaire de faire le point quant à la façon d’appréhender le paiement du forfait d’adaptation des lentilles de contact.

Avant toute chose, il convient de rappeler que l’adaptation des lentilles de contact est un acte médical comme l’ont confirmé plusieurs jurisprudences de la cour de cassation1. La délégation à l’opticien n’entre pas dans le champ de ses compétences. Les lentilles de contact, véritables prothèses posées sur l’œil d’un patient, sont banalisées au point de faire oublier qu’il ne s’agit pas d’un simple produit commercial mais d’un dispositif médical nécessitant une adaptation et une surveillance médicales strictes, gages d’une absence de complications graves.

Il faut aussi rappeler l’article 532.

« Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières.
Ils ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués. L’avis ou le conseil dispensé à un patient par téléphone ou correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire.
Un médecin doit répondre à toute demande d’information préalable et d’explications sur ses honoraires ou le coût d’un traitement. Il ne peut refuser un acquit des sommes perçues.
Aucun mode particulier de règlement ne peut être imposé aux malades ».

L’information est un point capital sur lequel nous reviendrons. Bien que les honoraires de l’adaptation en lentilles de contact soient libres lorsqu’ils concernent l’activité hors nomenclature ou dans le cadre des secteurs autorisant les dépassements d’honoraires, le tact et la mesure des ophtalmologistes ont fait qu’il existe une certaine harmonie sur le plan national concernant l’adaptation des verres de contact.

La pratique de l’art médical : une longue tradition de paiement à l’acte

Comme le rappelle le code de déontologie médicale et ses commentaires, le paiement à l’acte est celui qui prévaut en France. Il permet une juste rémunération du travail effectué par le praticien libéral.
On retrouve ces données dans les commentaires de l’article 53.

« La perception des honoraires implique qu’un acte médical a été réellement effectué, après examen du malade, engageant la responsabilité du médecin. Un renseignement donné au patient par téléphone ou par lettre ou une précision sur le traitement suivi n’est pas assimilable à un acte médical.
La perception des honoraires par le médecin doit se faire en toute lumière et avec loyauté. Le médecin ne peut refuser de donner des explications sur sa note d’honoraires. En cas de dépassement des honoraires conventionnels, il doit en avertir le patient auparavant. Il ne peut imposer un mode de paiement particulier (espèces), ni le versement d’une provision avant de donner ses soins. Il ne peut proposer un forfait pour ses soins mais doit tenir compte de la cotation de l’acte à la nomenclature générale des actes médicaux. Le médecin doit inscrire sur la feuille de soins le montant exact des honoraires réellement perçus ».

Quant au forfait, l’article 55 de ce même code est clair.

 « Le forfait pour l’efficacité d’un traitement et la demande d’une provision sont interdits en toute circonstance ».

On pourrait donc penser que le forfait n’est pas possible. Or il n’en est rien !

Comment définir l’adaptation en lentilles de contact dans ce cadre ?

Il suffit pour s’en persuader de continuer à se reporter aux commentaires du code de déontologie et, tout particulièrement, à ceux de l’article 55.

 « En refusant toute notion de forfait ou de provision, cet article confirme la nature non commerciale de la médecine. Le principe fondamental du paiement du médecin à l’acte est ainsi réaffirmé (art. 162-2 du code de la sécurité sociale).
Toutefois certains actes techniques font parfois l’objet d’une facturation au forfait, comme par exemple en contactologie où le forfait recouvre à la fois l’adaptation, la mise en place et l’apprentissage de mise en place des lentilles cornéennes ».

L’examen d’adaptation permet le choix d’une lentille de contact en fonction des paramètres médicaux obtenus. La lentille la mieux adaptée au traitement de l’amétropie3 du patient est ainsi choisie et mise en place au terme de cet examen et après avoir essayé, au besoin, plusieurs modèles pour choisir la mieux adaptée. Cette adaptation est complétée par l’apprentissage de la manipulation des lentilles et par l’entretien expliquant les conseils de port, d’entretien et la conduite que doit avoir le patient en cas de gène. L’ophtalmologiste doit répondre à toutes les questions que se pose le patient à cette occasion.
Cet examen d’adaptation fait habituellement suite à l’examen ophtalmologique classique, ayant permis d’effectuer notamment la réfraction et le dépistage d’une pathologie contre-indiquant le port de lentilles de contact. C’est à cette occasion que la fiche d’information publiée par de la Société française d’ophtalmologie est classiquement remise, en parallèle de l’entretien oral expliquant son contenu au patient et répondant à ses questions.

Il est rappelé que la remise d’un devis n’a rien d’obligatoire, contrairement à ce qui doit se pratiquer en matière d’actes médico-chirurgicaux à visée esthétique. En revanche, il n’est pas interdit au médecin de remettre une « note d’information » au patient concernant le règlement du forfait et d’en garder une copie s’il le désire. La notion de devis implique des obligations qui ne sont pas exigées du praticien actuellement, il est donc préférable de s’en tenir à la notion de note d’information sur le règlement du forfait d’adaptation en lentilles de contact.

Forfait d'adaptation en lentilles de contactLe forfait est dû à la fin de la consultation d’adaptation. Il n’est pas tributaire d’une ordonnance.  Le médecin peut, s’il le désire, prévoir une période durant laquelle les examens de contrôle s’ils sont en rapport avec les lentilles de contact, permettant au besoin de modifier le traitement initial, seront gratuits. Cette pratique est courante en médecine et son principe est même utilisé par la sécurité sociale pour les consultations intervenant dans les quinze jours post-opératoires4.
Le paiement ne doit pas être assorti d’une obligation de résultat pour le médecin et il n’est pas envisageable de proposer de remboursement au patient. Le patient aura été informé de façon claire qu’une adaptation en lentilles de contact n’est pas systématiquement réussie. L’obligation de moyens est, quant à elle, toujours présente. Si le médecin estime qu’il n’a pas pu remplir son rôle, rien ne l’empêche de rembourser le patient dans le cadre de sa pratique libérale mais cela doit rester exceptionnel.

Un cautionnement est possible pour le prêt de lentilles

Il est aussi apparu indispensable d’évoquer le problème posé par les lentilles de prêt commandées spécifiquement pour un patient ou sorties de la boîte d’essai et dont l’ophtalmologiste est responsable vis-à-vis du laboratoire auquel il a fait appel. Ces lentilles ne sont pas à usage unique mais elles sont bien des lentilles pouvant être décontaminées (par le médecin ou par le laboratoire) et réutilisées. Il doit bien être précisé au patient qu’il a l’obligation de les restituer au médecin, ce dernier pouvant avoir, lui aussi, l’obligation de les rendre au laboratoire.

La pratique courante montre qu’il est relativement fréquent qu’un patient ne rapporte pas ce matériel. Or leur coût de ces lentilles n’est pas négligeable. La loi n’interdit pas au praticien, dans ces conditions, de demander un cautionnement pour cette lentille de prêt. Le cautionnement se définit comme un « dépôt de fonds ou de valeurs destinés à garantir une créance éventuelle5 ». Il est obligatoire que cette demande de cautionnement soit accompagnée d’une note d’information, précisant ses modalités et le temps à l’issue duquel, en cas de non-restitution, la créance sera due. Le dépôt demandé n’excèdera pas le prix des lentilles de prêt et ne peut être utilisé à d’autres fins.

Une note d’honoraires doit être remise au patient

Concernant les actes non remboursables par la sécurité sociale, il sera remis une note d’honoraires au patient conformément à l’arrêté 83-50 du 3 octobre 1983 relatif à la publicité des prix de tous les services si le prix du forfait d’adaptation excède 15,24 euros. Si le prix du forfait est inférieur, la note est facultative. La note d’honoraires doit être délivrée dès que la prestation a été effectuée et avant le paiement.

La note d’honoraires, considérée comme une facture, est aussi régie par la directive européenne 2001 / 115 / CE du 20 décembre 2001 qui s’applique depuis le premier janvier 2004. Elle doit obligatoirement comporter plusieurs éléments. Un double de ce document doit être conservé six ans.

La note d’honoraires :

– Identité du praticien avec son nom et son adresse complète (attention: les sociétés civiles professionnelles [SCP] doivent en plus porter la mention «société civile », en toutes lettres, suivie du montant du capital social, ainsi que la mention du RCS, suivie du nom de la ville où la SCP est immatriculée).
– Identité du patient avec nom et adresse complète.
– Date.
– Numéro (chaque facture doit être numérotée). Le numéro attribué doit suivre un ordre chronologique continu. Sur un plan pratique, si la situation l’exige, la numérotation peut faire l’objet de séries différentes et simultanées, dès lors que cette numérotation interdit tout manquement ou double emploi (exemples : cas des praticiens exerçant en société ou en cas de pluralité de cabinets).
– Renseignements sur les services rendus avec, pour chaque service rendu, la nature de la prestation et la date de la prestation si elle est différente de celle de la facture.
– Mention indiquant  » TVA non applicable -Article 261 du CGI  » (cette mention n’est pas obligatoire pour les factures inférieures à 150 euros hors taxes).
– Prix TTC.
– Conditions de règlement avec la date limite de paiement ou le délai accordé, le taux des pénalités exigibles pour paiement tardif (mention obligatoire, en précisant les modalités de calcul et les conditions dans lesquelles les pénalités sont appliquées. Le taux des pénalités ne peut être inférieur à 1,5 fois le taux de l’intérêt légal).
– Mention «Membre d’une association agréée. Règlement des honoraires par chèque accepté. » si vous êtes adhérent.

Conformément à l’article L162-4 du code de la sécurité sociale, l’adaptation des lentilles de contact, lorsque l’acte est non remboursable, ne donne pas lieu à l’établissement d’une feuille de soins (même barrée, même avec la mention acte non remboursable).

Voilà qui, nous l’espérons, devrait permettre de clarifier une situation parfois confuse et permettre aux contactologues de continuer à proposer aux patients des prestations d’une qualité toujours meilleure.


1 : Voir l’article « Etat du droit et optométrie en 2006 ».*

2 : Article R.4127-53 du code de la santé publique.

3 : Défaut de la vision (réfraction).

4 : Décision du 11 mars 2005 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie relative à la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l’assurance maladie.

5 : Lexique des termes juridiques, Dalloz, p 91.

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