Traçabilité des lentilles de contact et de leurs solutions d’entretien

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique Variations

Le retrait à la suite de la suspicion d’un acte de malveillance d’un produit d’entretien pour lentilles de contact pose une véritable question de santé publique : les produits d’entretien sont des dispositifs médicaux, soumis à la matériovigilance, mais qu’en est-il de leur traçabilité ?

Bien qu’il s’agisse de deux entités différentes, la notion de traçabilité est fortement liée à celle de matériovigilance en ce qui concerne les dispositifs médicaux en France.

Nous ne reviendrons pas sur la définition des dispositifs médicaux, qui dans le cas qui nous intéresse, peut être retrouvé dans la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux, repris dans le Code de la santé publique. Nous ne sommes pas non plus dans le cas de la directive 90/385/CEE du Conseil, du 20 juin 1990 relative aux dispositifs médicaux implantables actifs ou dans celui de la 98/79/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998 relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.

Nous n’aborderons pas le cas particulier des lentilles ou des produits d’entretien remis dans une consultation de contactologie au sein d’un établissement de soins qui peut répondre à certaines particularités, comme le décret n° 2005-1023 du 24 août 2005 relatif au contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations mentionné à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

Reprenons la définition de la traçabilité : « capacité à retracer l’historique, l’utilisation ou la localisation d’une entité ou d’un produit au moyen d’identifications enregistrées », selon la norme NF en ISO 8402.

Voyons maintenant celle de la matériovigilance (article R 5212-1 du code de la santé publique) : la matériovigilance a pour objet la surveillance des incidents ou des risques d’incidents résultant de l’utilisation des dispositifs médicaux qui sont définis à l’article L. 5211-1 et relèvent du présent titre en vertu des articles R. 5211-1 à R. 5211-3.
Elle s’exerce sur les dispositifs médicaux après leur mise sur le marché (tableau 1).

 La matériovigilance comporte :
– le signalement et l’enregistrement des incidents ou des risques d’incidents mentionnés aux articles R 5212-14 et R 5212-15 ;
– l’enregistrement, l’évaluation et l’exploitation de ces informations dans un but de prévention ;
– la réalisation de toutes études ou travaux concernant la sécurité d’utilisation des dispositifs médicaux ;
– la réalisation et le suivi des actions correctives décidées.Tableau 1. La matériovigilance.

La fiabilité et l’efficacité de la traçabilité dépendent de plusieurs facteurs tout au long de la chaîne qui amène le dispositif médical au patient. La qualité d’acquisition et de mémorisation des données tout au long de cette chaîne. La rapidité de traitement et de communication des données mémorisées pour agir face à la détection d’un produit défectueux.

Rappelons que des produits d’entretien pour lentilles de contact sont classés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) dans la liste des dispositifs médicaux à potentiel élevé de risque pour la santé humaine. Il est donc capital que leur traçabilité soit sans faille, afin de pouvoir bloquer un lot de produits à toutes les étapes, depuis sa fabrication à sa vente. Mais les données doivent aussi pouvoir permettre de rappeler un lot défectueux, détecté par le fabricant lui-même ou grâce à la matériovigilance, déjà obtenu par les patients.

C’est sur le fabricant que repose la traçabilité de par la directive 93/42/CEE.
La loi française prévoyait que « l’exercice de la matériovigilance peut impliquer, outre la communication par le fabricant des documents mentionnés à l’article R665-15, l’accès aux données du dossier pré-clinique d’expérimentation et aux données relatives aux investigations cliniques, en particulier aux informations énumérées à l’annexe VIII au présent livre et au rapport sur les investigations cliniques mentionné au point 2.3.7. de l’annexe X, ainsi que l’accès aux informations relatives à la conception, à la fabrication, au stockage, à la distribution, à la mise à disposition, à l’utilisation et au suivi dit « traçabilité » des dispositifs médicaux ainsi que l’accès aux informations relatives à leur vente, à leur utilisation et, le cas échéant, à leur prescription. » (décret 96-32 du 15 janvier 1996, modifié par le décret en Conseil d’Etat n°99-145  du 04 mars 1999). C’est l’article R5212-3 qui a repris ces dispositions au sein du Code de la santé publique (tableau 2).

L’exercice de la matériovigilance peut impliquer, outre la communication par le fabricant des documents mentionnés à l’article R. 5211-26, l’accès aux données du dossier préclinique d’expérimentation et aux données relatives aux investigations cliniques, en particulier au rapport sur les investigations cliniques mentionné à l’article R. 5211-37 et aux informations énumérées à l’article R. 5211-38, ainsi que l’accès aux informations relatives à la conception, à la fabrication, au stockage, à la distribution, à la mise à disposition, à l’utilisation et au suivi dit traçabilité des dispositifs médicaux ainsi que l’accès aux informations relatives à leur vente, à leur utilisation et, le cas échéant, à leur prescription.Tableau 2.  Article R5212-3 CSP.

Le fabricant doit respecter des obligations de signalement obligatoires ou facultatives (tableau 3 ).

(Ordonnance nº 2001-198 du 1 mars 2001 art. 1 Journal Officiel du 3 mars 2001)Le fabricant, les utilisateurs d’un dispositif et les tiers ayant connaissance d’un incident ou d’un risque d’incident mettant en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers doivent le signaler sans délai à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Le fabricant d’un dispositif ou son mandataire est tenu d’informer l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de tout rappel de ce dispositif du marché, motivé par une raison technique ou médicale.

Tableau 3.  Article  L5212-2 du code de la santé publique.

Le fabricant doit aussi tenir à la disposition de l’administration la déclaration CE de conformité et les documentions techniques pendant une période de cinq ans à compter de la date de fabrication du produit.

Concernant le fabricant, il est intéressant de noter que la directive 93/42/CEE prévoit qu’il fournisse « les informations relatives aux risques d’interférence réciproques liés à la présence du dispositif lors d’investigations ou de traitements spécifiques ». Une autre obligation est faite au fabricant : « les dispositifs et leurs procédés de fabrication doivent être conçus de manière à éliminer ou réduire autant que possible le risque d’infection pour le patient, l’utilisateur et les tiers. La conception doit permettre une manipulation facile et, pour autant que nécessaire, minimiser la contamination du dispositif par le patient ou inversement au cours de l’utilisation. »

Le médecin est, lui aussi, amené à participer à cette traçabilité, qu’il utilise des lentilles prêtées par le fabricant dans le cadre de l’adaptation ou des lentilles d’essai à usage unique. L’ophtalmologiste doit être particulièrement vigilant s’il remet des produits d’entretien au patient. Il lui est conseillé de noter les références des dispositifs médicaux ainsi remis et utilisés pour un patient. Il a un devoir d’information quant à leur utilisation. Si l’usage du produit de santé est correct, la responsabilité du praticien n’est pas engagée s’il peut fournir l’adresse du fabricant, en cas de problème rencontré par un patient.
Le médecin a, bien entendu, une obligation de matériovigilance (art.  L5212-2 du code de la santé publique).

L’opticien devrait pouvoir fournir les éléments permettant au fabricant d’assurer la traçabilité des produits. Il a lui aussi, en tant que « tiers », des obligations obligatoires et facultatives de signalement (art.  L5212-2 du code de la santé publique).

Comment la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades pourrait-elle être respectée s’il n’est pas possible d’identifier les patients à qui a été vendu une lentille ou un produit d’entretien ? En effet, ce texte stipule que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé.[…] Lorsque[…]des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée. »
« En cas de risques pour la santé[…], l’autorité administrative peut mettre en demeure les professionnels, organismes ou établissements […] de procéder à l’information des personnes concernées. »

On voit mal comment les fabricants ou les professionnels de santé pourraient y échapper, surtout avec des jurisprudences comme celle évoquée dans cette brève.

Les obligations de traçabilité des dispositifs médicaux, comme les lentilles de contact et les produits d’entretien, jusqu’au patient mériteraient d’être formalisées.
Les autorités s’y emploient et les choses progressent, même si elles ne concernent pas encore les produits que nous avons évoqués. De nouvelles dispositions concernent les dispositifs médicaux implantables. Les articles suivants (tableau 4) sont le reflet de ce qui pourrait à terme concerner les lentilles de contact et leurs produits d’entretien.

 Article R5212-36(inséré par Décret nº 2006-1497 du 29 novembre 2006 art. 1 Journal Officiel du 1er décembre 2006)

La matériovigilance comporte, pour les dispositifs médicaux dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé sur proposition du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, des règles de traçabilité depuis la réception des dispositifs médicaux dans la structure sanitaire ou de chirurgie esthétique où ils seront utilisés jusqu’à leur utilisation chez le patient.
Ces règles ont pour objet de permettre d’identifier rapidement :
1º Les patients pour lesquels les dispositifs médicaux d’un lot ont été utilisés ;
2º Les lots dont proviennent les dispositifs médicaux utilisés chez un patient.

Article R5212-41

(inséré par Décret nº 2006-1497 du 29 novembre 2006 art. 1 Journal Officiel du 1er décembre 2006)

Les médecins et chirurgiens-dentistes utilisateurs des dispositifs médicaux figurant sur la liste prévue à l’article R. 5212-36, qui exercent leur activité hors établissement de santé ou de chirurgie esthétique, inscrivent les données nécessaires à l’exercice de la traçabilité dans le dossier médical du patient, s’il existe, ou, à défaut, dans tout document permettant de localiser et d’identifier le lot dont provient le dispositif médical utilisé chez un patient. Ils les inscrivent aussi dans tout document permettant de localiser et d’identifier les patients pour lesquels les dispositifs médicaux d’un lot ont été utilisés.<br/>
Ces données sont conservées pendant une durée de dix ans. Cette durée est portée à quarante ans pour les dispositifs médicaux incorporant une substance qui, si elle est utilisée séparément, est susceptible d’être considérée comme un médicament dérivé du sang.<br/>
Doivent figurer dans le dossier médical, s’il existe, ou, à défaut, dans le document tenu par le médecin ou le chirurgien-dentiste et permettant d’identifier le lot dont provient le dispositif médical utilisé chez un patient :
– l’identification du dispositif médical : dénomination, numéro de série ou de lot, nom du fabricant ou de son mandataire ;
– le lieu d’utilisation ;
– la date d’utilisation ;
– le nom du médecin ou du chirurgien-dentiste utilisateur.

Tableau 4.  Articles R5212-36 et R5212-41 CSP.

Ces articles s’accompagnent désormais des « recommandations à l’attention des fabricants de dispositifs médicaux concernés par la mise en place des règles de traçabilité précisées par le décret du 29 novembre 2006 et l’arrêté du 26 janvier 2007 », faites par l’Afssaps. Parmi ces recommandations, on notera :
« Les fabricants mettent à la disposition des utilisateurs des dispositifs médicaux comportant un système de codification permettant l’identification unique des dispositifs en tenant compte de l’harmonisation en cours de cette codification, et comportant au minimum : dénomination ou référence du produit, nom ou référence du fabricant ou de son mandataire, numéro de lot ou de série du produit.

Un jeu d’étiquettes, détachables, autocollantes et comportant les informations listées précédemment soit fourni avec les produits, pour permettre l’enregistrement des informations au niveau de la pharmacie à usage intérieur, du service utilisateur, dans le dossier médical du patient ainsi que pour délivrer l’information au patient.

L’utilisation de code barre (une ou deux dimensions) comme système de codification soit retenue et que celui-ci apparaisse sur le conditionnement unitaire. Afin d’éviter les erreurs dans le choix du code barre approprié, il est souhaitable que toutes les informations nécessaires soient regroupées dans un seul code barre, facilement identifiable et compréhensible. »

Le patient, enfin, doit savoir ce qu’il utilise, même s’il fait confiance aux professionnels de santé. Il doit être de plus en plus responsable dans le domaine de sa santé. Il doit aussi savoir qu’en tant que maillon final, il a comme les autres, des obligations de signalement (art.  L5212-2 du code de la santé publique).

 


1 : Afssaps. Surveillance des dispositifs à potentiel élevé de risque

[En 2012, cette notion de « liste des dispositifs médicaux à potentiel élevé de risque pour la santé humaine » n’existe plus sur le site de l’Afssaps. Les produits d’entretien des lentilles de contact font néanmoins toujours l’objet d’une rubrique particulière au sein de la surveillance du marché des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DM/DMDIV), NDLR]

 

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