Le point sur la responsabilité civile professionnelle médicale en 2008
La loi n°2007-127 du 30 janvier 2007 relative à l’organisation de certaines professions de santé impose, sous peine de sanction, aux Compagnies et Mutuelles d’assurances couvrant en France les risques de responsabilité civile professionnelle médicale l’obligation de transmettre à l’Autorité de contrôle des Assurances et des mutuelles des données comptables, prudentielles ou statistique sur ces risques.
Si comme chaque année la SHAM et la MACSF transmettent également un certain nombre de ces informations sur leur site internet, il n’en va pas de même d’un des principaux acteurs du marché : la Medical Insurance Company Limited.
Comme chaque année, la société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) rend publiques les informations financières globales, statistiques et prudentielles relatives à la gestion de ses contrats responsabilité civile professionnelle1. La MASCF en a fait de même2, mais se concentre, au titre de son information au grand public, sur la description des différents sinistres qu’elle gère, sans malheureusement quantifier le coût financier global d’une telle activité. Quant à la Medical Insurance Company Limited (MIC Ltd) aucune information publique ne filtre. Même si cette compagnie est de droit Irlandais, qu’elle opère en libre prestation de service (LPS), la majorité de ses risques sont principalement situés en France. Il apparaissait alors normal que cette compagnie d’assurance emboîte le pas de ses deux concurrents et communique au grand public les grandes lignes de sa gestion des sinistres.
En conséquence nous ne pouvons que nous inquiéter que cette dernière ne se prête pas au jeu comme tous ses concurrents français.
En effet, s’agissant des principaux acteurs, ou s’il on peut dire « survivants » de l’assurance du risque médical, il apparaît indispensable que les chiffres de cette branche des assurances tant décriée soient communiqués avec des données financières permettant une appréhension réelle du risque assurance par spécialité médicale. Or, il est à constater que seule la SHAM fait preuve de transparence à ce titre. Nous attendons avec impatience la communication de la SHAM sur son premier exercice d’assurance des praticiens libéraux.
Le coût des dommages corporels en augmentation pour les établissements
Notre analyse se base uniquement sur les chiffres communiqués par la SHAM et se limite donc aux réclamations pour dommage corporel dirigées contre les établissements de santé assurés de la SHAM (73% des établissements publics et plus de 20% des établissements de santé privés). Au titre de l’exercice 2006, la SHAM n’avait pas encore souscrit de contrats de responsabilité civile professionnelle médicale auprès des praticiens libéraux. Dès lors, les chiffres que nous analysons n’incluent pas encore les réclamations pouvant survenir du fait de l’assurance des praticiens libéraux ayant souscrit leur assurance auprès de cette mutuelle à effet du 1er janvier 2007.
Eu égard à l’exercice d’assurance 2006, les réclamations pour dommage corporel sont estimés à un montant de 133,1 millions d’euros (dont 124 millions pour les causes purement médicales). A titre de comparaison, les réclamations pour dommage corporel étaient estimées à 118 millions d’euros pour sur l’exercice 2005 et à 100 millions en 2004.
Il convient de rappeler qu’il s’agit à 40% d’estimations du coût des sinistres et non pas des paiements réellement effectués par la mutuelle d’assurance. En effet, seul 60% des dossiers ouverts en 2006 sont clos, donc réellement payés. Les montants globaux communiqués sont donc composés à 40% des provisions établies par la SHAM, en fonction du montant des indemnisations réclamées par les victimes d’un dommage corporel et des expertises médicales afférentes à chaque dossier. Par conséquent, il y a tout lieu de penser que les montants communiqués sont certainement surévalués pour les sinistres qui peuvent aboutir à des indemnisations très coûteuses (c’est généralement le cas des sinistres en obstétrique). Dans son ensemble, la SHAM provisionne plus que le coût final des sinistres déclarés. Comme le dit l’adage « mieux vaut trop que pas assez ».
Afin de faire parler les chiffres bruts ci-dessus mentionnés, la SHAM nous révèle qu’en 2006 le coût des indemnisations contentieuses est de 86,6 millions d’euros. Les règlements amiables ne représentent dès lors que 35% du coût total des estimations de la SHAM. Les règlements amiables font l’objet de transactions entre la mutuelle d’assurances et les victimes. Dans ce cas, l’indemnisation reste le jeu des parties à la transaction et reste généralement acceptable pour l’assureur. Si aucune transaction ne peut être conclue, parce que les prétentions de la victime sont trop élevées, l’affaire passe très souvent en contentieux. C’est à ce moment là que les indemnisations peuvent décoller pour atteindre des sommets, d’où les provisions surévaluées des assureurs.
A titre de comparaison, voici le coût des sinistres par spécialité et par année chiffré par la SHAM pour les indemnisations contentieuses.
Par Spécialité | Exercice 2004 Indemnisations contentieuses (en millions d’euros) |
Exercice 2005 Indemnisations contentieuses (en millions d’euros) |
Exercice 2006 Indemnisations contentieuses (en millions d’euros) |
Chirurgie | 19,9 | 24,1 | 25,1 |
Obstétrique | 11,5 | 20,6 | 26,9 |
Médecine | 6,6 | 9,7 | 14,4 |
Urgences – Réanimation – SAMU | 3,4 | 4,3 | 17,9 |
Divers | 2,6 | 3,8 | 2,3 |
Total | 44 | 62,5 | 86,6 |
Mis à part la mauvaise sinistralité 2006 de la spécialité « Urgences – Réanimation – SAMU », on dénote que sur les spécialités obstétrique et chirurgie sont les plus impactées sur les trois exercices. Au titre de la spécialité obstétrique, un constat saute aux yeux : si le nombre de décision est faible, le montant des indemnisations ou plutôt les provisions y afférentes, établies par la SHAM, sont importantes.
– Exercice 2004 = 29 décisions contentieuses pour 11,5 millions d’euros d’indemnisation
– Exercice 2005 = 30 décisions contentieuses pour 20,6 millions d’euros d’indemnisation
– Exercice 2006 = 44 décisions contentieuses pour 26,9 millions d’euros d’indemnisation
L’estimation financière du coût des sinistres en chirurgie et en obstétrique fait l’objet d’une augmentation constante depuis 2004, ce qui n’est pas une nouveauté en soit, mais cette analyse nous permet de chiffrer cette augmentation. Il semble cependant que le coût des indemnisations se stabilise sur le dernier exercice annuel.
Une donnée essentielle manque tout de même à l’appel : le montant global des primes d’assurances payées pour ces spécialités sur un exercice annuel.
Du nouveau à la MIC
L’information reste à confirmer, mais il semble que les Mutuelles du Mans Assurances (MMA) détenant jusqu’alors 15% de la MIC Ltd soient devenues l’actionnaire majoritaire de la compagnie Irlandaise. A défaut d’intervenir en direct depuis la France, les MMA sont revenues sur le terrain de l’assurance médicale par le biais de la LPS.
On ne peut que se féliciter qu’un assureur Français puisse s’investir à nouveau dans une branche décrite comme déficitaire.
De ce fait, nous espérons maintenant que cette compagnie d’assurances soit aussi communicative auprès du grand public que le sont ses concurrents.
Tout en respectant le secret médical, le marché de l’assurance responsabilité civile médicale à besoin d’informer le grand public sur son état de santé général.
L’assurance RCP des praticiens libéraux : des solutions échafaudées par certains grands groupes polycliniques
Les contrats d’exercice libéral des grands groupes polycliniques vont-ils devenir des contrats d’exclusivité incluant automatiquement une assurance responsabilité civile professionnelle médicale négociée au préalable avec des assureurs ?
Devant la peur des internes de devoir quitter le confort assurantiel des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) pour un univers du marché privé quasi dépourvu d’offres attrayantes en assurance de responsabilité civile professionnelle médicale, les grands groupes polycliniques cherchent des solutions.
L’idée proposée au marché de l’assurance par les grands groupes polycliniques n’est pas sans intérêt : proposer des contrats d’exercice libéral exclusifs agrémentés d’une assurance responsabilité civile professionnelle médicale pré-négociée avec une compagnie d’assurance. Cette solution peut avoir, grâce à une souscription de masse, des effets positifs sur les prix pratiqués aujourd’hui sur le marché de l’assurance. Le rapport de force entre assurés et assureurs se trouverait du coup changé. Une réelle négociation pourrait alors avoir lieu.
Cependant, afin de mettre en place ces contrats « groupe », il faut au préalable que des données sinistres soient recueillies par les grands groupes polycliniques auprès de leurs praticiens libéraux déjà en exercice. Ces données vont permettre aux assureurs d’appréhender le risque global d’une telle démarche.
Mais surtout, il faut imposer une logique antilibérale à des praticiens qui sont par principe des « libéraux » : ils vont devoir exercer leur activité uniquement dans les établissements du groupe, sans pouvoir exercer leur activité en dehors d’un établissement de santé privé appartenant à ce groupe.
Il apparaît en effet impossible qu’un assureur accepte de souscrire un contrat d’assurance groupe couvrant des praticiens lors de leur exercice au sein des établissements du groupe et en dehors de ce groupe polyclinique. L’argument fondé sur la maîtrise des risques responsabilité civile, qui sera mis en avant par le groupe polyclinique lors de la souscription d’un contrat groupe responsabilité civile professionnelle des ses praticiens, ne sera d’aucun effet. Si le groupe polyclinique ne maîtrise pas une partie du risque assuré, comment l’assureur le pourrait.
Cette solution assurance n’est réalisable et viable qu’à la condition que tous les praticiens soient exclusivement engagés auprès d’un unique groupe polyclinique.
Cette solution pose enfin deux autres problèmes d’ordre financier et juridique :
– Comment aménager les plannings opératoires d’un établissement de santé privé pour que les praticiens et le groupe polyclinique y trouvent un intérêt financier suffisant ? De plus, le fait de réduire les possibilités de ‘nomadisme’ des praticiens libéraux en les sédentarisant sur un seul groupe polyclinique ne va-t-il pas tout simplement annoncer la mort des petites structures d’hospitalisation privées ?
– Sur le plan juridique nous rappelons que les actions engagées à l’encontre des praticiens libéraux se fondent sur les principes de la responsabilité civile : la faute3. Les praticiens libéraux ne bénéficient pas de la ‘protection’ accordée aux agents du service public par la responsabilité administrative et la notion de faute de service. Dès lors, la responsabilité civile professionnelle d’un praticien libéral peut être recherchée par la victime d’un dommage en même temps que celle du groupe polyclinique avec lequel le praticien a conclu un contrat d’exercice libéral. Mais surtout ce même groupe polyclinique peut rechercher la responsabilité civile professionnelle de son praticien libéral sans avoir à prouver une faute personnelle détachable du service. S’il se trouve que l’assureur du contrat groupe responsabilité civile professionnelle des praticiens libéraux est le même que celui du groupe polyclinique, peu lui importera de savoir comment doivent être partagées les responsabilités : seul le montant de l’indemnisation entrera en ligne de mire.
1 – Document intitulé « Panorama 2006 du risque médical des établissements de santé ».
2 – Document intitulé « Le risque des professions de santé en 2006 ».
3 – Article L 1142-1 du Code de la santé publique.
Tags :assurance, cabinet, civile, professionnelle, responsabilité
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