Un malade peut-il choisir ou refuser un médecin à l’hôpital dans le cadre de l’urgence pour des raisons religieuses ?

Écrit par Jean-Pierre Sellem le . Dans la rubrique Variations

Le stress lié à des situations d’urgence conduit parfois certains à se tourner vers des convictions religieuses rassurantes. Le dialogue n’est pas toujours suffisant et il arrive que des tensions perturbent le bon déroulement des soins lorsqu’un malade ou sa famille refuse qu’un membre de l’équipe soignante d’un établissement de soins le prenne en charge pour ces raisons. Le patient doit être conscient qu’en agissant ainsi il peut engager sa responsabilité si des complications surviennent suite à son refus.


En plein débat sur l’identité nationale et en pleine réflexion sur l’interdiction de la burqa, le journal Le Figaro lève le voile sur un malaise qui semble présent dans les établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, disposant d’un service d’urgence. Il est question dans l’article du quotidien des revendications religieuses au sein des entreprises, mais aussi des hôpitaux, tout particulièrement lorsque le patient ou sa famille a une vision ultrarigoriste de la religion musulmane. André Gerin, député représentant le Parti communiste français et président de la mission parlementaire sur le voile intégral, semble le confirmer.

Droit de refuser un médecin à l'hôpital« Les députés ont visité à Lyon la maternité Mère-Enfant. “Le personnel se sent abandonné.” On compte “quatre à cinq incidents par semaine” dans les services d’obstétrique, affirme André Gerin. “Un homme sage-femme appelé à la rescousse lors d’un accouchement difficile s’est fait casser la gueule en octobre par un mari”, a raconté le responsable hospitalier. Les pompiers ont dû le réanimer pour qu’il achève l’accouchement. Un traumatisme pour tout le service, qui “n’en peut plus” de devoir slalomer entre les exigences religieuses et déminer l’agressivité de certains. “Les maris insistent pour que leurs femmes soient vues par des médecins femmes. Beaucoup refusent une anesthésie par crainte qu’un homme apparaisse”, a relaté le personnel. Comme en 2004, lorsque pour la première fois, plusieurs chefs de service d’obstétrique avaient dénoncé ces pressions devant la commission Stasi. Depuis, une charte rappelle qu’on ne peut choisir son médecin dans le service public. “Mais les personnels restent seuls à gérer les conflits”, regrette André Gérin. »

Condamnés pour avoir refusé un médecin homme

Ces tensions ne sont pas nouvelles et peuvent même parfois conduire à des situations dramatiques. En 2008, la cour administrative d’appel de Lyon a condamné une famille à verser 1 000 euros au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, après que celle-ci ait demandé à ce que l’établissement soit condamné en réparation des préjudices dont a été victime leur enfant au moment de sa naissance à leur verser, en leur qualité de représentants légaux de leur fils, une indemnité provisionnelle de 100 000 euros et, à titre personnel, une somme de 10 000 euros. Lors de l’accouchement, le bébé a été victime d’une dystocie des épaules, privant celui-ci d’une grande partie de l’oxygène nécessaire, dont il a conservé de graves séquelles neurologiques (100 % de taux d’incapacité). Pourquoi avoir condamné la famille et non l’hôpital ? Tout simplement parce que lorsque la sage-femme a constaté des signes de souffrance du foetus et appelé l’interne de garde, le père du futur enfant, invoquant ses convictions religieuses, s’est physiquement opposé à toute présence masculine dans la salle d’accouchement, notamment des médecins obstétriciens et anesthésistes, malgré les demandes instantes de ces derniers, pendant 30 minutes. Quand, après négociation, le père ne s’est plus opposé à l’intervention des médecins masculins, il était trop tard pour commencer une césarienne et l’extraction de l’enfant a dû être effectuée par application de forceps. Pour la cour, en faisant obstacle aux examens nécessaires à la réalisation d’une césarienne, seule méthode qui aurait pu éviter les séquelles dont souffre l’enfant, la famille est responsable de ce qui est arrivé.

Il n’est pas question ici du refus des soins par le patient pour des raisons religieuses. Chacun sait qu’en ce domaine « le libre choix du malade ne permet pas que la personne prise en charge puisse s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier » en cas d’urgence vitale, depuis des décisions du Conseil d’État, comme son ordonnance en référé en date du 16 août 2002, dans laquelle il a reconnu que les médecins ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le consentement à un traitement médical donné par un patient majeur, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer « lorsqu’après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état » (circulaire DHOS/G no 2005-57 du 2 février 2005). Il s’agit de choisir ou de refuser le médecin qui est amené à pratiquer ces soins.

Une discrimination à sens unique ?

Le choix de “son” médecin est l’un des principes du système de santé français, même s’il est de plus en plus souvent remis en question. L’article L 1110-8 du code de la santé publique le rappelle : « Le droit du malade au libre-choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire », même s’il s’empresse d’y ajouter que « les limitations apportées à ce principe par les différents régimes de protection sociale ne peuvent être introduites qu’en considération des capacités techniques des établissements, de leur mode de tarification et des critères de l’autorisation à dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux. » Ce droit est propre au patient et il convient de préciser que la famille, les époux ou la personne de confiance n’ont pas à intervenir dans ce choix.
La législation sociale a donc déjà pris le pas sur la législation sanitaire, mais qu’en est-il de la religion ? Même si la laïcité est un fondement de la République, le respect des convictions religieuses tend à prendre, chaque jour, un peu plus d’importance et à lui demander de s’effacer.

S’il arrive régulièrement que l’article L 1110-3 du code de la santé publique qui prévoit qu’ « aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins » soit utilisé à l’encontre des professionnels de santé, il n’est jamais question d’une éventuelle discrimination à l’encontre d’un praticien quand un patient refuse les soins au motif qu’il est un homme ou, au contraire, une femme pour des raisons religieuses. Nombreux sont les professionnels qui préfèrent se taire de peur que cela se retourne contre eux et qu’on les mette en cause pour des propos racistes. Serait-ce qu’en matière de discrimination, le principe républicain d’égalité cède la place au politiquement correct ou que la tolérance est à sens unique ?

Dans l’urgence, le choix peut être restreint

Si la charte de la personne hospitalisée et la circulaire DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 réaffirment les droits du patient en précisant qu’ « aucune personne ne doit être l’objet d’une quelconque discrimination que ce soit en raison de son état de santé, de son handicap, de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de ses opinions politiques, de sa religion, de sa race ou de ses caractéristiques génétiques », elles imposent aussi que « l’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies. Dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires… ). Toutefois, l’expression des convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches. » La circulaire DHOS/G no 2005-57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé énonçait déjà ces principes.
Cette charte et ces circulaires ont le mérite d’exister, mais elles sont une garantie de sérénité bien mince pour les personnels soignants. Même s’ils sont habitués au dialogue et savent proposer des solutions comme la présence d’un personnel du même sexe que celui du patient, en plus du médecin, au cours de la consultation, il arrive que l’équipe soignante soit confrontée à l’agressivité d’une famille.

Les autorités religieuses elles-mêmes sont parfois divisées sur le sujet. Elles font souvent appel au bon sens de chacun et aux valeurs de tolérance que prônent les différentes religions, mais de fortes tendances communautaristes se font régulièrement entendre, cherchant à justifier l’attitude des patients vis-à-vis des médecins et des établissements de soins. Difficile pour le législateur, dans ces conditions, de faire preuve de courage face à un sujet qui met en avant le politique et le religieux au détriment de la santé. Les personnels soignants y sont pourtant régulièrement confrontés dans les établissements de soins, mais aussi au sein des services d’aide médicale urgente (Samu) ou même, tout simplement, lors des gardes pour les médecins libéraux qui assurent la continuité des soins. Se voiler la face, s’il est encore possible d’utiliser cette expression, n’est pas une solution…

 

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Commentaires (3)

  • SB

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    « il n’est jamais question d’une éventuelle discrimination à l’encontre d’un praticien quand un patient refuse les soins au motif qu’il est un homme ou, au contraire, une femme pour des raisons religieuses »

    Il me semble que seules sont sanctionnées par le droit pénal, ou le droit du travail ou de la fonction publique, les discriminations commises à l’encontre des usagers/patients/clients, ou encore celles dont les salariés ou fonctionnaires sont victimes de la part de leur hiérarchie ou de leurs collègues, et donc que rien n’interdit les discriminations, commises par des patients à l’encontre de soignants, que vous évoquez.

    « Nombreux sont les professionnels qui préfèrent se taire de peur que cela se retourne contre eux et qu’on les mette en cause pour des propos racistes. Serait-ce qu’en matière de discrimination, le principe républicain d’égalité cède la place au politiquement correct ou que la tolérance est à sens unique ? »

    Je ne pense pas que la dénonciation d’une discrimination ait nécessairement un caractère raciste.

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  • bres

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    On parle toujours de refus dans le cadre de la religion. Mais on ne parle jamais de refus de médecin pour toutes autres raisons. Pourquoi ?
    Un patient n’a t il pas le droit de refuser d’être ausculté par un médecin si ce n’est pas à cause de sa religion ? Ne peut on pas choisir le médecin (ou interne) des urgences et non pas le médecin généraliste privé qui se trouve être de garde ce jour là ? Pourquoi nos raisons seraient elles moins importantes que la religion ? Sans entrer dans le détail : lorsque l’on a été confronté à plusieurs reprises à un certain médecin et que ce dernier se soit trompé soit de diagnostic (qui a d’ailleurs vallu une hospitalisation en urgence) soit de prescription médicale (inapropriée voire même dangereuse pour l’état de santé de son patient : par le pharmacien et ensuite par les urgences et oui encore) ….. on a le droit de ne plus vouloir prendre de risques
    donc de ne plus vouloir être confronté à ce médecin. Qu’en pensez vous ?

    Un interne des urgences peut il se permettre de juger et contester ce droit ?

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  • Barbara

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    Vous avez raison bres. Mais je pense que dans ces conditions là, le patient se plaint de cette (ou ces) erreur(s) auprès de l’administration hospitalière de l’établissement de ce praticien, voir même porte plainte auprès d’un commissariat, il est donc ici largement légitime et compréhensible que l’on ne souhaite plus être suivit par ce médecin.
    Mais lorsque l’on met la vie de son enfant en danger par convictions religieuses, j’ai du mal à comprendre… N’est-on pas censé mettre tout en oeuvre pour le bien-être de son enfant ?
    De plus, ces personnes (dans le cas d’un accouchement) mettent la vie de leur femme en danger suite à ces complications.

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