Des médicaments à usage pédiatrique…

Écrit par Marion Le Blond le . Dans la rubrique Variations

Nounours médecinLes médecins étaient, jusque-là, souvent obligés d’utiliser, chez l’enfant, des médicaments n’ayant pas été testés à cet effet, engageant ainsi leur responsabilité professionnelle. L’application du droit européen entraînera vraisemblablement une évolution dans ce cadre.


Aujourd’hui banalisé, le médicament est défini comme « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines » et « pouvant être administrée à l’homme en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques chez l’homme 1« . Mais le médicament n’est pas pour autant un produit de consommation inoffensif et son usage peut être dangereux lorsqu’il est défectueux, dispensé à mauvais escient ou mal adapté au patient. Malgré nos avancées scientifiques, cette dernière hypothèse est encore rencontrée lorsque le médicament est dispensé à un enfant.

« Il paraît inconcevable que nos enfants ne puissent disposer en 2006 d’une thérapie adaptée à leurs besoins. C’est pourtant une réalité. Aujourd’hui, de très nombreux médicaments que l’on administre aux enfants n’ont pas été développés à leur intention. Bien souvent, les produits utilisés pour les plus jeunes sont les mêmes que ceux que l’on prescrit pour l’adulte. L’usage se fait uniquement en diminuant les doses. Or, le métabolisme d’un enfant diffère de celui d’un adulte. Les enfants ont donc besoin d’une forme pharmaceutique spécifique non seulement pour qu’elle soit mieux tolérée, mais également plus efficace et plus sure ». Ces propos ont été tenus par Françoise Grossetête, rapporteur du Parlement européen sur le projet de règlement sur les médicaments pédiatriques lors d’une intervention en session plénière concernant son rapport le 31 mai 2006.

La Commission européenne estime que plus de la moitié des médicaments destinés aux enfants n’ont jamais fait l’objet de tests spécifiques, ni d’une autorisation explicite en vue d’un usage pédiatrique 2. Or cela concerne environ 100 millions de nourrissons, d’enfants et d’adolescents dans tout le territoire de l’Union européenne.Enfant caché
En effet, de nombreux médicaments donnés aux enfants n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou ont une AMM dans une autre indication, une autre posologie, une autre forme galénique ou pour un autre âge. La prescription en pédiatrie concerne donc essentiellement des prescriptions hors AMM : 94 % en soins intensifs, 67 % à l’hôpital et 30 % en pratique de ville 3.

Il existe donc un risque que ces produits ne répondent pas aux critères de qualité, de sécurité et d’efficacité attestés pour ceux qui sont prescrits aux adultes, en entraînant des effets indésirables inattendus dus au surdosage, ou à l’inverse un risque d’inefficacité lié à un sous-dosage. Pour comprendre l’enjeu de l’élaboration de la réglementation, il est nécessaire d’analyser les   contraintes qui expliquent, d’une part, la situation actuelle en matière de médicament pédiatrique et, d’autre part, le recours à l’élaboration d’une réglementation spécifique.

Les contraintes au développement des médicaments à usage pédiatrique

Le développement des médicaments pédiatriques rencontre des problèmes en phase d’expérimentation sur l’être humain. En effet, les essais cliniques sont indispensables avant toute commercialisation d’un médicament. Or le sujet est délicat puisque les essais concernent des enfants. Que ce soit sur le plan européen ou sur le plan national, il est prévu des contraintes particulières afin de renforcer la protection d’une certaine catégorie de patients dite « vulnérable » participant à une recherche biomédicale. La loi « Huriet-Sérusclat 4 » du 20 décembre 1988  modifiée dans le cadre de la transposition de la directive 2001/20/CE 5 principalement par la loi du 9 août 2004 6 relative à la politique de santé publique précise ce cadre dans les articles L 1121-5 à L 1121-8 du code de la santé publique.

« Les femmes enceintes, les parturientes et les mères qui allaitent ne peuvent être sollicitées pour se prêter à des recherches biomédicales que dans les conditions suivantes :
– soit l’importance du bénéfice escompté pour elles-mêmes ou pour l’enfant est de nature à justifier le risque prévisible encouru ;
– soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres femmes se trouvant dans la même situation ou pour leur enfant et à la condition que des recherches d’une efficacité comparable ne puissent être effectuées sur une autre catégorie de la population. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.
 »

« Les mineurs ne peuvent être sollicités pour se prêter à des recherches biomédicales que si des recherches d’une efficacité comparable ne peuvent être effectuées sur des personnes majeures et dans les conditions suivantes :
– soit l’importance du bénéfice escompté pour ces personnes est de nature à justifier le risque prévisible encouru ;
– soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres mineurs. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.
« 

Le développement des médicaments à usage pédiatrique rencontres aussi des difficultés d’un point de vue scientifique. Cela s’explique en partie par la complexité des problèmes posés par la recherche et le développement de médicaments pédiatriques : l’enfant de 0 à 18 ans est par définition un être en devenir dont chaque étape du développement physique et psychique           nécessite des recherches complexes, spécifiques, longues et difficiles à mettre en place.

Ce constat doit être mis en corrélation avec les contraintes économiques ; puisque ces recherches sont complexes, longues et difficiles à mettre en place, il en découle un investissement financier pour les laboratoires plus important encore. Or, les bénéfices attendus seront-ils suffisants pour rentabiliser la mise en place de telles recherches ? En effet, « bien que 20 % de la population de l’Union ait moins de seize ans, soit 100 millions de personnes, et que les besoins des pays tiers doivent être pris en considération, le marché est généralement considéré comme étroit, par les acteurs concernés, pour les pathologies les moins courantes 7« .

Pour une question de santé publique, il était donc nécessaire de réglementer afin de soutenir le développement de médicaments adaptés aux enfants.
 
Un pas vers une réglementation européenne spécifique relative aux médicaments à usage pédiatrique

La France a pris l’initiative en juillet 2000 de présenter au Conseil des ministres de la santé de l’Union européenne un mémorandum exposant toute l’importance de développer des médicaments spécifiquement pour les enfants. Une résolution a été votée le 14 décembre 2000, invitant la Commission à s’emparer du sujet. Après un peu plus d’un an, la Commission a présenté le 28 février 2002 un document de consultation. Puis la Commission a déposé un projet de règlement le 5 novembre 2004, transmis au Conseil de l’Union européenne le 29 septembre 2004 dans le cadre de la procédure de co-décision.

EnfantLe 1er juin 2006, le Parlement européen a donné son accord définitif au règlement concernant les médicaments pédiatriques qui devra entrer en vigueur en janvier 2007. Ce règlement du Parlement Européen et du Conseil modifie le règlement (CEE) no 1768/92, la directive 2001/83/CE et le règlement (CE) no 726/2004. Il offre des avantages généreux aux entreprises de l’industrie pharmaceutique qui évaluent de nouveaux médicaments à usage pédiatrique. Le champ d’application du règlement couvre les médicaments à usage humain au sens de la directive 2001/83/CE en cours de développement et non encore autorisés, les médicaments déjà autorisés et couverts par des brevets ainsi que les produits autorisés qui ne sont plus protégés par des droits de propriété intellectuelle. Le règlement assortit, dans un souci d’efficacité, des incitations financières à une obligation nouvelle, de manière à tenter de mieux couvrir les besoins thérapeutiques en pédiatrie, avec, en outre, un dispositif de pharmacovigilance.

Le règlement prévoit une obligation d’évaluation de tout nouveau médicament

Dans le cadre d’un plan d’investigation pédiatrique, le règlement prévoit une obligation d’évaluation de tout nouveau médicament susceptible d’être utilisé chez l’enfant. Ce plan d’investigation pédiatrique est un programme de recherche et de développement visant à assurer que les données nécessaires sont collectées pour déterminer les conditions d’autorisation d’un               médicament destiné à la population pédiatrique. Cela afin d’éviter le manque d’information sur le dosage qui est à l’origine des risques d’effets indésirables, d’inefficacité voire même de décès.
De plus, le règlement prévoit la création d’une nouvelle prescription pédiatrique spécifique, la PUMA, pour les médicaments anciens (tombés dans le domaine public et les génériques), qui feraient l’objet de nouvelles études sur leur administration chez l’enfant.

…et des dispositions incitant les efforts de recherche

En contrepartie de ces nouvelles obligations d’évaluation, le règlement prévoit des dispositions incitant les efforts de recherche avec une prolongation des droits de propriété intellectuelle ou des exclusivités commerciales pour les médicaments ayant fait l’objet d’un tel plan d’investigation    pédiatrique. Pour les nouveaux médicaments, la durée du certificat complémentaire de protection, qui prolonge les effets du brevet pour tenir compte du délai entre son dépôt et la commercialisation du médicament correspondant, serait accrue de six mois. Pour obtenir ces six mois, le médicament pédiatrique devra être autorisé dans tous les Etats membres.

De plus, pour favoriser les médicaments orphelins à destination des enfants, le règlement prévoit une exclusivité de marché qui passe de dix à douze ans.

Le comité du médicament pédiatrique est un rouage essentiel du dispositif

Enfin, l’une des mesures principales du dispositif est la création, au sein de l’Agence européenne du médicament, d’une instance scientifique d’expertise, le comité du médicament pédiatrique, chargé  notamment d’évaluer les plans d’investigation pédiatrique et d’assurer la satisfaction des besoins thérapeutiques des enfants. Le comité sera composé d’une trentaine de membres indépendants.
Tout le dispositif repose sur le comité pédiatrique qui sera, pour toute l’Union, la seule instance d’expertise compétente. Elle traitera non seulement les dossiers d’autorisation de mise sur le marché soumis à l’Agence européenne du médicament, mais également ceux présentés auprès des autorités nationales compétentes, dans les différents Etats membres.
La mission du comité pédiatrique va beaucoup plus loin que les seuls plans d’investigation pédiatrique. Le comité se voit confier un rôle de définition du cadre général de l’utilisation des médicaments en pédiatrie. Il fera un inventaire, un recensement général des besoins thérapeutiques de la population pédiatrique. Il examinera les dérogations d’ensemble relatives à certains produits ou à certaines classes thérapeutiques de produits. Il délimitera ainsi le champ des produits exclus d’une administration à l’enfant. Enfin, le comité est investi d’une mission générale de conseil et prêtera assistance à l’Agence pour la mise en place du réseau européen des réseaux de chercheurs et des centres existants, au niveau national et européen, dans le domaine des études pédiatriques.
 
Un réglement équilibré entre recherche et droits des enfants

Ce règlement permet donc d’inciter le développement des médicaments à usage pédiatrique en offrant aux laboratoires pharmaceutiques des avantages contre une obligation d’évaluation afin de répondre aux exigences de sécurité, de qualité, de besoin et d’adaptation des médicaments pour les enfants.
De plus, il est prévu un dispositif de pharmacovigilance qui sera d’autant plus efficace qu’il propose des dispositions pour offrir un accès aux études pédiatriques avec la création d’une base de données contenant des informations sur les études achevées ou menées dans l’Union européenne, mais aussi celles intervenues dans les pays tiers. Il sera mis en place un réseau communautaire associant les réseaux nationaux et les centres d’essais cliniques pour faciliter la fluidité de la circulation de l’information, ainsi que la réalisation d’études.
Enfin, il prévoit des dispositions qui visent à éviter que des études cliniques supplémentaires ne soient réalisées sur des enfants alors qu’elles ne sont pas nécessaires. Le règlement semble donc bien procéder à l’équilibre nécessaire entre la promotion de la recherche pour la santé des enfants et la protection de ces derniers dans la lignée de la directive européenne sur les essais cliniques du 4 avril 2001.

 


1 – Définition du médicament donnée par la Directive européenne 65/65/CEE, article 1, paragraphe 2.

2 – Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux médicaments utilisés en pédiatrie, modifiant le Règlement (CEE) no 1768/92, la directive 2001/83/CE et le Règlement (CE) no 726/2004 par la Commission des communautés européennes, le 29.09.2004, à Bruxelles.

3 – « Particularité de l’évaluation des médicaments en pédiatrie et son application à la prescription en pédiatrie », J.D. Horisberger.

4 – Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.

5 – Directive européenne sur les essais cliniques no 2001/20/CE du 4 avril 2001.

6 – Loi du 9 août 2004 no 2004-806.

7 – Communication d’Arlette Franco sur le médicament pédiatrique dans le cadre de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, le 12 avril 2005.

Tags :, ,

Trackback depuis votre site.



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.