La résiliation unilatérale d’un contrat d’exercice libéral

Écrit par Jérôme Monet le . Dans la rubrique Variations

A l’instar des jeunes mariés, le couple praticien libéral-établissement de santé privé est souvent pressé de consommer son union. Néanmoins, il convient de se souvenir que comme pour le mariage, les couples s’unissent pour le meilleur et pour le pire.
Si le professionnel libéral et la clinique s’enthousiasment le plus souvent pour des questions de redevances, il est bon de rappeler que le contrat d’exercice libéral permet également aux parties consentantes de se désunir en évitant tout conflit.


Le contrat d’exercice libéral est régi comme tout contrat par le code civil. L’article 1134 de ce code 1 dispose que le consentement mutuel est le principe de base de toute naissance, mutation ou dénouement d’un contrat. Cependant, une exception au principe est admise : la résiliation unilatérale du contrat.

Cette rupture unilatérale du contrat va à l’encontre de l’accord de volontés des parties cocontractantes, elle doit donc être particulièrement encadrée.

La plupart des cas de résiliation unilatérale sont généralement prévus dans le contrat d’exercice libéral.
En effet, l’article L 4113-9 du Code de la santé publique 2 exige l’existence d’un contrat écrit. Cette exigence formelle est établie dans le but d’assurer le contrôle du conseil départemental de l’ordre des médecins, mais aussi de définir clairement les obligations et devoirs du praticien libéral et de l’établissement de santé.

La conclusion d’un contrat d’exercice libéral permet au praticien et à l’établissement de fixer une durée d’exercice professionnel. Le terme de l’exercice libéral du praticien prévu au contrat est librement fixé par la volonté des parties. Les deux cocontractants doivent alors inclure des clauses contractuelles autorisant l’un et l’autre à mettre fin au dit contrat avant son terme. Ces clauses sont indispensables, puisqu’elles représentent le seul moyen de prévoir les inconvénients futurs de la relation entre l’établissement et le praticien.

Ne pas préparer son divorce, c’est aller au-devant de graves déconvenues.

En cas de fermeture administrative de l’établissement de santé

 

Si l’établissement de santé appartient à un groupe polyclinique composé de plusieurs sites cliniques, il est préférable de stipuler une clause de reclassement du praticien dans un des sites du groupe lui offrant des conditions de travail identiques à celles prévues dans son contrat d’exercice libéral.

Cette démarche facilite la continuité de l’activité libérale du praticien, sans qu’il ait à réclamer réparation de son préjudice devant les tribunaux et à rechercher un nouvel établissement, et surtout sans perdre sa clientèle. L’insertion d’une telle clause dans un contrat d’exercice libéral est particulièrement intéressante pour les praticiens exerçant dans un groupe implanté à plusieurs endroits d’une même ville.

Une autre solution est aussi envisageable : celle de la rupture immédiate du contrat d’exercice libéral du fait de la fermeture administrative. L’établissement privé ne pouvant plus exécuter ses obligations contractuelles, le praticien n’a plus à exécuter les siennes et peut rompre unilatéralement son contrat d’exercice libéral.
Il est facilement concevable que les patients d’une ville souhaitent ne pas entrer dans un établissement de santé appartenant au groupe polyclinique qui a vu un de ses sites fermés par les autorités administratives compétentes.
Ou bien plus simplement, si l’établissement frappé par cette décision administrative n’appartient pas à un groupe polyclinique, il est important pour le praticien de garder sa clientèle et pour cela de trouver un établissement de santé au plus vite, s’il n’exerce pas déjà dans un autre établissement de santé, auquel cas il peut plus facilement rapatrier toute sa clientèle sur ce site.

En cas de cession de l’établissement de santé

Dans cette situation, le cocontractant du praticien change. Il ne s’agit plus de la personne morale avec qui le praticien a initialement rédigé son contrat d’exercice libéral. Le cessionnaire (nouvel acquéreur de l’établissement) est un tiers au contrat d’exercice libéral d’origine. Le concessionnaire a alors le choix :
–    soit, il signe un nouveau contrat d’exercice libéral avec le praticien et lui permet de continuer son activité au sein de l’établissement ;
–    soit, il refuse de signer un contrat avec le praticien.
Dans ce dernier cas, il est nécessaire d’agrémenter le contrat d’exercice libéral initial d’une clause d’indemnisation compensatoire et d’un délai de préavis.

En revanche, il n’en est pas de même en cas de simple changement dans les participations au capital social de l’établissement, puisque ce procédé ne modifie pas la personne morale et n’a aucune incidence sur le sort des contrats conclus par cette dernière.

Pour des raisons importantes et justifiées

Il est fréquent de voir des établissements de santé soucieux de leur image médiatique résilier le contrat d’exercice libéral d’un de leurs praticiens condamnés par une juridiction ordinale ou bien encore par une juridiction pénale.
Cette résiliation unilatérale a été autorisée par les tribunaux à plusieurs conditions :

–    L’établissement a l’obligation de donner un préavis au praticien.

Les préavis de référence sont ceux édictés par les usages professionnels consacrés par le contrat type de l’ordre national des médecins. Ils varient selon l’ancienneté du praticien au sein de l’établissement de santé : 6 mois de préavis avant 5 années d’ancienneté ; 12 mois entre 5 et 10 années ; 18 mois entre 10 et 15 années ; 24 mois au-delà de 15 années d’ancienneté.

–    La résiliation doit être justifiée par « un motif qui n’est ni fallacieux, ni illicite » 3.

Le motif doit être sérieux et réel. L’établissement doit prouver qu’il a subi un préjudice du fait de cette condamnation ordinale ou répressive.

–    La résiliation ne doit intervenir qu’une fois les recours du défendeur (le praticien) épuisés.

Devant les juridictions ordinales, le défendeur peut faire appel de la décision du conseil régional de l’ordre des médecins devant le conseil national de l’ordre des médecins, puis exercer un recours en excès de pouvoir auprès du Conseil d’Etat.
A la suite d’un jugement rendu par un tribunal correctionnel ou d’une décision de Cour d’assises, le prévenu (le praticien) peut interjeter appel et puis se pourvoir en cassation.

Il est alors indispensable que les deux parties au contrat d’exercice libéral s’entendent sur les délais de préavis adaptés et les motifs qui sont susceptibles de rompre la relation contractuelle.

Bien entendu, rien n’empêche les cocontractants de se séparer par consentement mutuel. Quoi de plus normal que de défaire par consentement mutuel ce qui a été mis en place par un accord de volonté ?

Le contrat reste un outil efficace de gestion d’événements futurs qu’il convient de négocier avec la plus grande attention. Car, in fine, la question fondamentale n’est-elle pas de savoir qui aura la garde des enfants ?

 

 


1 – Article 1134 du code civil : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

2 – Article L 4113-9 du code de la santé publique,
– alinéa 1 : « les médecins, les chirurgiens-dentistes en exercice, ainsi que les personnes qui demandent leur inscription au tableau de l’ordre des médecins ou des chirurgiens-dentistes, doivent communiquer au conseil de l’ordre dont ils relèvent, les contrats et avenants ayant pour objet l’exercice de leur profession ainsi que, s’ils ne sont pas propriétaires de leur matériel et du local dans lequel ils exercent ou exerceront leur profession, les contrats ou avenants leur assurant l’usage de ce matériel et de ce local »
– alinéa 4 : « tous les contrats et avenants dont la communication est exigée doivent être passés par écrit ».

3 – Arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 12 février 1998. Le concours médical du 30 mai 1998, page 1504, note N. LOUBRY.

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