Accident d’exposition au sang : peut-on réaliser un dépistage du VIH en l’absence de consentement du patient source ?

Écrit par Marie-Thérèse Giorgio le . Dans la rubrique Variations

Exposition au sangLes professionnels de santé sont confrontés, dans le cadre de leur activité, au risque d’accident d’exposition au sang qui est potentiellement grave. En effet, à cette occasion des germes présents dans le sang du patient source peuvent être transmis au soignant, les virus des hépatites B ou C et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) étant particulièrement redoutés. Le risque de stigmatisation des personnes atteintes par le VIH est aujourd’hui encore bien réel, c’est pourquoi le dépistage de ce virus chez le patient source ne peut pas être pris à la légère.

Un accident d’exposition au sang (AES) est défini, selon le groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (GERES) comme « tout contact avec du sang ou un liquide biologique contenant du sang et comportant soit une effraction cutanée (piqûre ou coupure) soit une projection sur une muqueuse (œil, bouche) ou sur une peau lésée. »

Des conduites à tenir en cas d’AES sont en place dans tous les secteurs professionnels à risques. L’instauration d’un traitement antirétroviral dans les 4 heures qui suivent un accident est réservée aux situations à risque identifiable de transmission du VIH.
La circulaire interministérielle nº DGS/RI2/DHOS/DGT/DSS/2008/91 du 13 mars 2008 relative aux recommandations de prise en charge des personnes exposées à un risque de transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) définit dans quels cas un traitement antirétroviral doit être instauré dans le décours d’un AES, en fonction du statut sérologique du patient source et de la nature de l’exposition au sang (piqûre profonde ou non, etc.).

Identifier le risque

Pour identifier le risque de transmission disposer du statut sérologique du patient source est indispensable puisque si ce dernier est infecté par le VIH, il y a bien un risque identifiable de transmission. Seuls 2 à 3 % des accidents d’exposition au sang donnent lieu à l’instauration d’un traitement post exposition, réservé aux cas où il existe un risque avéré de contamination. La chimioprophylaxie antivirale n’étant pas anodine et sa prescription engageant la responsabilité du celui qui l’instaure, il est primordial de connaître très rapidement le statut sérologique du patient source puisque ce résultat intervient dans la prise de décision.

L’impact de la sérologie de dépistage pour le VIH sur la conduite à tenir doit être expliqué au patient source. Malheureusement, si ce dernier refuse, la sérologie ne peut pas être réalisée, le droit français posant le principe qu’il ne peut y avoir de dépistage sans le consentement préalable de la personne dépistée. Le principe fondamental du consentement au soin est donné par l’article L 1111-4 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. »
La volonté du malade doit donc être respectée après information sur les conséquences de ses choix. « Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d’interventions. » Or, le dépistage pour le VIH n’est pas une situation particulière. En cas de refus exprès du patient source la situation est sans ambiguïté, la sérologie ne peut pas être réalisée.

Par contre, si le patient source n’est pas en état de pouvoir donner son consentement et qu’il n’a pas expressément refusé la sérologie au préalable, la situation est délicate aux plans juridique, éthique et déontologique dans le cas d’un AES : à l’occasion d’une intervention chirurgicale, alors que le patient est anesthésié, si le patient est dans le coma, etc.

Enjeu majeur de la sérologie du patient source

Réaliser une sérologie de dépistage du VIH présente un enjeu majeur pour la personne victime de l’AES puisque si le patient source est infecté par le VIH, alors qu’on l’ignore, la mise en route d’un traitement antirétroviral risque d’être retardée. Par contre, pour le patient source, le prélèvement en lui-même n’est pas considéré comme un geste invasif, et ne lui fait donc courir aucun risque. Cela n’empêche pas qu’il faille respecter son libre choix de savoir s’il est ou non porteur du VIH.

La loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé prévoit une dérogation à l’obligation d’information en vue du consentement. En effet, l’article L 1111-2 du code de la santé publique (CSP) précise que « cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. » Si l’urgence ou l’impossibilité d’informer, cas où le patient est inconscient, autorisent bien le professionnel de santé à réaliser un acte sans recueillir le consentement de l’intéressé, seuls sont concernés les actes dans l’intérêt du patient lui-même et non d’un tiers, comme c’est le cas lors d’un AES.
La loi de 2002 a aussi apporté d’autres éléments repris dans le code de la santé publique. L’article L 1111-6 précise quant à lui que « toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. » Par conséquent avant toute intervention ou investigation, si le patient ne peut pas exprimer sa volonté, il faut consulter en priorité la personne de confiance désignée par le patient, à défaut un membre de la famille ou un proche. La personne de confiance exprime un avis et non pas un consentement que seul le patient lui-même peut exprimer.
Un état de sauvegarde de justice ou curatelle est sans effet sur le consentement du patient, alors que si le patient est sous tutelle, c’est au tuteur de s’exprimer.

Un consentement indispensable, sauf si…

La circulaire du 13 mars 2008 spécifique au VIH explicite la loi de 2002 à propos du dépistage : « il faut demander une sérologie du patient source en urgence sauf dans les cas où le consentement ne peut être exprimé. » Ceci est conforme aux avis du Conseil national du Sida rendus le 12 octobre 2000 et le 12 mars 2009.

Des aiguillesEn pratique, comment procéder ? Chaque fois que possible, il y a bien obligation de recueillir le consentement exprès du patient source avant de réaliser la sérologie de dépistage pour le VIH. Lorsque le patient est sous anesthésie, il est parfois possible d’attendre qu’il se réveille et soit en état d’être informé. Dans les autres cas où le patient n’est pas en mesure de recevoir l’information et qu’une décision doit être prise rapidement, il faut commencer par tenter de recueillir l’avis de la personne de confiance, d’un membre de la famille ou d’un proche. Si cela s’avère vraiment impossible, il faut faire un dépistage malgré l’absence de consentement exprès en respectant les modalités de prise en charge, comme le propose le Conseil national du Sida : « Dans les situations d’urgence, très rares, qui réunissent les trois conditions suivantes : premièrement, un professionnel de santé a subi un accident avec exposition au sang ; deuxièmement, le statut sérologique pour le VIH du patient source n’est pas connu, et le patient n’a pas exprimé antérieurement de refus d’un test de dépistage ; troisièmement, le patient source est dans une situation médicale particulière qui l’empêche de répondre à une proposition de test de dépistage, cette situation pouvant être un coma ou une perte de conscience prolongée ; le consentement du patient source pour effectuer un test de dépistage de l’infection par le VIH en milieu hospitalier (public ou privé) peut ne pas être requis.
De telles situations d’urgence mettent en effet en jeu les chances d’efficacité maximale du traitement pour le soignant blessé en cas de transmission du VIH, dans la mesure où ces chances sont liées à la mise en oeuvre la plus précoce possible du traitement. Ces situations doivent demeurer exceptionnelles. »

Par contre, il est impératif d’éviter de réaliser le dépistage en l’absence de consentement exprès s’il n’est pas absolument nécessaire. Par exemple, il est inutile de réaliser un dépistage sans consentement exprès dans les cas où il n’aura aucune incidence sur la mise en route ou non d’un traitement antirétroviral dans les 4 premières heures. Il en va ainsi lorsque le risque est minime comme pour une morsure légère ou une griffure pour lesquelles le traitement n’est jamais indiqué, peu importe la sérologie du patient source. Pour savoir si le risque est minime ou non, il suffit de se référer à la grille d’aide à la décision thérapeutique, actualisée dans le rapport 2010 sur la prise en charge des personnes infectées par le VIH, élaboré sous la direction du Dr Patrick Yeni.

Prescription et prévention

Dans le cadre d’un accident d’exposition au sang, la sérologie réalisée chez le patient source doit nécessairement être prescrite par un médecin, qui ne peut pas être la victime de l’accident d’exposition au sang. De nouveaux tests de dépistage rapide pour le VIH sont désormais disponibles sur le marché, ils peuvent être réalisés au lit d’un malade par un technicien qui a été formé à la lecture de ces tests, le résultat est disponible dans les 30 minutes. Le test doit nécessairement être confirmé ensuite pas un test Elisa. La facilité d’utilisation de ces tests ne doit pas faire oublier qu’ils doivent être eux aussi nécessairement prescrits par un médecin et qu’ils ne peuvent être réalisés que chez un patient ayant donné son consentement, sauf dans les cas explicités ci-dessus.

Si une sérologie a été réalisée, son résultat est nécessairement remis au cours d’un entretien avec le patient. En cas de résultat positif, une prise en charge médicale et médico-sociale adaptée doit lui être proposée.

Tous les professionnels susceptibles d’être exposés au risque de transmission du VIH doivent être informés des précautions à prendre pour prévenir les accidents d’exposition au sang ainsi que des modalités de recours possible au traitement post exposition. Les cinq centres français de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) ainsi que le GERES surveillent, informent et aident à la prévention de l’exposition professionnelle aux agents infectieux. Il ne faut pas hésiter à faire appel à eux.

Tags :, , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Trackback depuis votre site.


Commentaires (2)

  • Sophie11

    |

    Bonjour! Tout d’abord merci pour cet article de qualité. Cette maladie est vraiment un fardeau, vivement qu’un vaccin sorte une bonne fois pour toute! J’ai vu que des tests étaient dispo sur le net ([url]http://www.testadom.com[/url] par exemple), que faut il en penser ? Aucun article n’en parle sur votre site.

    Cordialement.

    Répondre

  • bleu horizon

    |

    Bonjour,

    Je suis au fait de bien des sujets de droit de la santé et de la santé, ayant ou ayant eu une activité médicale, d’expertise, juridique et juridictionnelle .

    Votre analyse juridique sur le fond et la forme n’amène aucun commentaire sur la patient source.

    Par contre, la problématique de santé publique est plusieurs ordres et touche plusieurs types de contamination (et non pas que le HIV). En effet, la problématique d’un accident exposition au sang est bien connue et maitrisée médicalement et juridiquement (dans le cadre que vous décrivez nous sommes dans le cadre de l’accident de travail). Là ou cela ce complique juridiquement et médicalement c’est lors d’un accident sériel , c’est à dire qu’il existe une source et plusieurs patients contaminés

    Schématiquement 3 situations peuvent se produire
    1 la source est un patient ;
    2 la source est inconnue ;
    3 la source est un soignant.

    La première situation, la source est identifiée et souvent implique un défaut des règles d’hygiènes en l’espèce pas de difficulté;
    La seconde peut impliquer un défaut d’hygiène mais se pose la question de l’imputabilité des soins qui aurait été la cause de la transmission, là la situation commence à devenir très complexe ;
    La troisième situation est bien plus difficile médicalement, juridiquement et même éthiquement car il existe des situations ou même en l’absence de faute il pourrait y avoir transmission ;

    Ces situations amènent une discussion au fond qu’un simple commentaire ne peut faire

    cordialement

    Répondre


Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.