La France en donneuse de leçons sur la grippe A(H1N1)

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Presse

Il aura suffi que les autorités de Saxe-Anhalt cherchent à faire incinérer leurs 16 millions de doses de vaccins contre la grippe A(H1N1) inutilisées, il y a deux ans, lors de la fameuse pandémie à l’origine de leur achat par l’Allemagne, pour que la presse hexagonale se fasse aussitôt l’écho du brio avec lequel semblent avoir été gérées les millions de doses achetées, mais non utilisées par la France. L’Usine nouvelle, le 19 août, puis Les Échos, le 22, rapportent en effet les propos du directeur général de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) qui « s’est dit « surpris » que le pays [l’Allemagne, NDLR] « découvre seulement un an après qu’il faut détruire les vaccins », et se réjouit que l’épisode français soit aujourd’hui « une affaire terminée » ». Selon l’Usine nouvelle, la destruction des doses périmées du vaccin A(H1N1) est « un sujet de gestion banale pour l’Eprus » et de citer un « expert français du secteur » qui affirme : « Je suis tombé des nues : ce n’est pas possible qu’un pays comme l’Allemagne en soit réduit à cette situation digne d’un pays du tiers monde. Tous les pays se sont posés la question il y a un an ! »

Un vaccin comme cadeau

C’est donc avec beaucoup de talent que l’Eprus gère la destruction des doses de vaccins contre la grippe A(H1N1) : « Il ne nous reste plus que les vaccins de GlaxoSmithKline [GSK] à détruire », a précisé son directeur général au journal Les Échos. « Nous aurons détruit la totalité de nos doses de vaccins anti-grippe A(H1N1) au 30 novembre. Il nous reste encore 9 millions de lots à éliminer, mais tout cela est prévu depuis un an », a-t-il expliqué à Usine nouvelle, tout en indiquant que l’Eprus, créé en 2007, était « sans équivalent en Europe » et avait une « vision panoramique » sur le stockage, le transport et la destruction des produits par des sous-traitants désignés dans le cadre de marchés publics.

Quel dommage que l’Eprus n’ait pas pu négocier avec autant de talent les commandes de vaccins au moment de la pandémie ! Quel dommage que son directeur général n’ait pas réagi quand il lui a fallu conclure les contrats avec qui il lui était assigné de les conclure, aux conditions qui lui étaient prescrites, avec les références juridiques qui lui étaient délivrées ; des contrats prénégociés par le cabinet ministériel, comme l’expliquait Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, en février 2011 !

Pour ce qui est des chiffres relatifs aux vaccins, les données issues des travaux de cette même Cour font état du bilan suivant concernant la lutte contre la pandémie grippale A(H1N1) : un peu plus de cinq millions de personnes vaccinées (5,36 millions, soit 8,5 % de la population) pour plus de 44 millions de doses de vaccins achetées (sur les 94 millions commandées) ; 342 décès attribués à la grippe A(H1N1) ; un coût total estimé entre 700 et 760 millions d’euros ; 48,5 millions d’euros consacrés à l’indemnisation des laboratoires pour avoir annulé les commandes sur un total de 382,7 millions d’euros dévolus aux seuls vaccins. À terme, ce sont plus de 20 millions de doses que la France aura fait détruire, un bilan qui aurait pu être bien plus lourd si deux millions de doses n’avaient pas disparu après être sorties des stocks pour être utilisées dans les centres de vaccination et si douze millions de doses n’avaient pas été données à l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des chiffres bien connus de l’Eprus, tout comme les frais d’avocats engagés par cet organisme pour la négociation de l’indemnisation des laboratoires après annulation d’une partie des commandes et qui se sont élevés à près de 290 400 euros.

Pour ce qui est de donner des leçons à l’Allemagne, la France ne semble pas être la mieux placée si l’on compare les chiffres relatifs aux achats de vaccins et aux résultats de la vaccination :

Allemagne France
Total des doses commandées 50 M 94 M
Vaccinations fin 2009 8 M 6 M
Total de la population 82 M 64 M
Fraction de la population
couverte par les achats de vaccins (2 doses)
30 % 78 %
Fraction de la population vaccinée (majorant) 9,7 % 9,3 %

Difficile aussi de ne pas relever que l’Allemagne avait signé des contrats de réservation auprès des laboratoires GlaxoSmithKline en vue de bénéficier de livraison de son vaccin adjuvanté pandémique Pandemrix, considéré comme le plus efficace et dont le développement pouvait être lancé dès l’annonce de la pandémie, à l’inverse de la France qui s’est ainsi retrouvée à la merci du laboratoire au moment de passer commande.
Tout comme outre-Rhin, en France, les doses qui n’ont pas encore été détruites sont uniquement celles de GSK en raison de leur date de péremption plus tardive comparée à celle des vaccins des autres fabricants. Dans l’Hexagone, les vaccins ne sont pas détruits le jour même de leur péremption et sur les plus de neuf millions de doses restant à détruire en France, la date limite est comprise entre mai et octobre 2011. Pourquoi s’émouvoir de la situation de nos voisins dans ces conditions ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser à la lecture des articles de l’Usine nouvelle et des Échos, les autorités régionales allemandes se sont déjà débarrassées d’une partie de leur stock de vaccins inutilisés, comme l’indiquait l’AFP il y a quelques jours.
Si les chiffres donnés par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, journal à l’origine de l’information relative à la destruction des vaccins allemands, sont exacts, un autre élément devrait donner à réfléchir : la somme dédiée par les Allemands pour voir partir en fumée leurs 16 millions de doses. Elle semble bien moins élevée que celle consacrée par les Français où la destruction des doses inutilisées devrait avoir coûté au total entre 50 et 60 000 euros, selon Les Échos.

Il n’est pas certain que la France a intérêt à se comparer aux autres quand il est question du fiasco de la gestion de la grippe A(H1N1)…

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