Le médecin face aux maltraitances sur mineurs

Écrit par Jeoffrey Moriuser le . Dans la rubrique Variations

La maltraitance est une réalité, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Chaque année, en France, plus de vingt mille enfants en sont victimes et deux en meurent chaque jour. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les mauvais traitements infligés aux enfants constituent un problème majeur de santé publique partout dans le monde, avec près de 40 millions d’enfants concernés.


Les maltraitances sur mineurs sont « toutes formes de violences, d’atteinte ou de brutalités physiques et mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle »1.

Selon l’Observatoire décentralisé d’action sociale (Odas), « l’enfant maltraité est celui qui est victimes de violence physique, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique ou psychologique » ; « l’enfant en risque est celui qui connaît des conditions d’existence qui risque de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité »2.

Si le médecin et, plus largement, les professionnels de santé sont confrontés à de tels agissements, ils doivent être en mesure de les repérer et de les signaler. Le cadre juridique le leur permet.

 

Repérer et signaler la maltraitance

Le médecin hospitalier ou libéral peut être amener à constater les signes de maltraitance à l’occasion d’une consultation pouvant porter sur un tout autre problème médical.

Les types de maltraitance sont multiples. Il est possible de les classer en quatre catégories :
– violences physiques ;
– négligences lourdes ;
– violences psychologiques ;
– sévices sexuels.

A chacun de ces types de maltraitance correspond, sans en dresser une liste exhaustive, des signes distinctifs tels que des hématomes, des brûlures, des plaques d’alopécie, un syndrome dépressif, une fugue, un inceste, un viol, etc.
Ces indicateurs d’alerte de maltraitance, dont la facilité de détection est inégale, légitiment le signalement.Enfant

Ce signalement part avant tout de la mise en confiance de l’enfant (l’écouter, le rassurer, etc.) qui permet une évaluation de la situation. Celle-ci s’élabore, selon les cas (hypothèse d’abus sexuels intrafamiliaux ou de maltraitance grave), à partir des entretiens avec l’ensemble des proches (famille, parents, amis) ainsi qu’avec des professionnels appartenant à l’environnement de l’enfant.
La construction d’un signalement repose alors sur un principe d’évaluation pluridisciplinaire. Cependant, cette étape de l’évaluation ne peut pas toujours se réaliser de façon complète notamment en cas d’urgence lorsque la gravité de la situation de l’enfant nécessite une mesure de protection immédiate.
 
Quoi qu’il en soit, le signalement doit mentionner un certain nombre d’informations. S’agissant de l’enfant doivent être mentionnés : son identité, son âge, son adresse, sa situation familiale, son lieu d’accueil ou de scolarité, le titulaire de l’autorité parentale, le résumé de l’évaluation pluridisciplinaire ainsi qu’un éventuel certificat médical. Les éléments justifiant le signalement doivent aussi être indiqués : les faits observés ou rapportés, l’attitude de la famille, les actions déjà menées, la donnée permettant de savoir si la famille est informée du signalement (la description de tous ces aspects devant être faite de façon objective, précise et chronologique). La prise en considération du contexte familial s’avère être une donnée importante.
L’ensemble de ces éléments permet d’appréhender la situation dans une systémique globale.

Il convient de préciser que le signalement est à distinguer de l’information. Si cette dernière consiste à porter à la connaissance des équipes de professionnels, par voie orale ou écrite, la situation d’un enfant potentiellement en danger, le signalement quant à lui consiste à alerter l’autorité administrative ou judiciaire, après une évaluation (pluridisciplinaire si possible) de l’enfant, en vue d’une intervention institutionnelle.
Le signalement doit donc être entendu comme un « écrit objectif comprenant une évaluation de la situation d’un mineur présumé en risque de danger ou en danger nécessitant une mesure de protection administrative ou judiciaire »3.

Les destinataires du signalement

En France, les destinataires d’un tel signalement s’inscrivent dans un double système de protection de l’enfant.

Une protection administrative pilotée par le président du conseil général dont dépendent les services de l’aide sociale à l’enfance. Il lui revient de charger les services du secteur social, les services de la protection maternelle et infantile ou le service de l’aide sociale à l’enfance de procéder à une évaluation pour estimer l’état de danger et préciser les besoins de l’enfant et de sa famille.

Une protection judiciaire assurée par le procureur de la République et le juge des enfants en matière d’assistance éducative.

Le code de l’action sociale et des familles prévoit les limites de l’intervention administrative et judiciaire. Lorsqu’un mineur est victime de mauvais traitements ou lorsqu’il est présumé l’être, et qu’il est impossible d’évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil général avise sans délai l’autorité judiciaire 4.

Il n’est pas rare que des cas de suspicion de maltraitance voient le jour au sein des établissements scolaires. De la même manière qu’il a été précédemment décrit, les témoins de signes de maltraitance, qu’ils s’agissent du directeur d’école, des enseignants, du psychologue scolaire, doivent agir. Le médecin ou l’infirmière de l’école doivent être sollicités prioritairement afin d’évaluer la situation de danger dans laquelle se trouve l’élève. Ils agiront en commun avec l’équipe éducative ou, le cas échant, la commission de circonscription compétente pour les enfants relevant de l’enseignement pré-scolaire et élémentaire ainsi qu’avec les services extérieurs concernés (circonscription d’action sociale, unités territoriales de l’aide sociale à l’enfance, l’hôpital, centre médico-psychologique, etc.). Quelque soit la voie empruntée, l’inspecteur d’académie doit être systématiquement avisé de ces démarches.

Un cadre juridique aux contradictions surmontables

Le professionnel de santé est partagé entre les dispositions prévues par le code de déontologie médicale et celles du code pénal, qui de prime à bord, peuvent paraître contradictoires. Le secret professionnel s’impose « à tout médecin dans les conditions établies par la loi » 5 mais plus largement «  à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé » 6. Cette disposition s’impose aussi à tous les autres professionnels de santé amenés à prendre part aux soins 7.
Le secret s’entend de « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris » 6,7.

Si le code de déontologie médicale fixe la nature et la portée de cette disposition, il en prévoit aussi les limites.
C’est ainsi que le médecin doit être « le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage » 8. De plus, « lorsqu’un médecin discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique
il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives » 9.
Aux vues de ces dispositions et dans le cadre de leur responsabilité disciplinaire, il apparaît évident que le signalement s’impose aux médecins sous peine d’éventuel dépôt de plainte auprès du Conseil de l’ordre.Silence

L’appréhension de cette question par le code pénal est plus nuancée, laissant apparaître une véritable option, une faculté, celle de signaler ou non la maltraitance.
En effet, l’article 226-13 du code pénal dispose que « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou pour profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 € d’amende ».
 
L’article 226-14 du même code en prévoient les exceptions : « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
1. À celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2. Au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire […]. »

Entre obligation déontologique et obligation pénale

L’obligation de transgression du secret n’existe donc que si la loi l’impose et la seule référence est la liste des maladies à déclaration obligatoire. Pour les autres hypothèses, il ne s’agit que d’une possibilité, la loi distinguant deux cas : les mineurs de moins de quinze ans et les personnes en état de faiblesse (notamment un patient dont l’état de santé est altéré, une personne âgée ou un handicapé mental victime de sévices ou de privations) la dénonciation peut être effectuée par tout soignant, y compris l’infirmière 10, auprès des autorités judiciaires, médicales ou administratives. En cas d’agression sexuelle de toute nature, le signalement par un médecin ne peut intervenir qu’avec l’accord de la victime, auprès du procureur de la République.

Cependant, la question des dénonciations s’apprécie également à la lecture de l’article L 434-3 du code pénal, selon lequel « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende. », le dernier alinéa de cet article pose la limite de cette obligation en indiquant que « Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. ».
L’article 226-14 in fine du code pénal prévoit que « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire. ».

Comme pour boucler la boucle, le soignant n’est donc pas tenu de dénoncer : c’est une faculté qu’il apprécie en conscience.
La lecture combinée des dispositions déontologiques et pénales laisse donc entrevoir une certaine contradiction.

Néanmoins,  l’éventuel refus du professionnel de santé de signaler la maltraitance, conformément aux dispositions pénales évoquées, trouve sa limite dans le délit de non-assistance à personne en danger 11, s’inscrivant alors dans la logique du code de déontologie médicale.

Pour que le professionnel de santé puisse voir sa responsabilité pénale engagée, les éléments constitutifs de ce délit doivent être réunis cumulativement, à savoir être en présence d’un péril imminent, actuel (non d’un danger futur ou hypothétique) nécessitant une intervention immédiate, l’abstention volontaire de porter secours malgré la conscience du péril et l’absence de risque ou de danger à porter secours.

En définitive, le code de déontologie médicale impose aux professionnels de santé une véritable obligation de signaler la maltraitance, là où le code pénal, hormis le cas de non-assistance à personne en danger, délit rarement caractérisé, leur laisse une simple faculté. Si le cadre juridique, et plus particulièrement le secret professionnel, ne constitue pas un rempart en soi au signalement de la maltraitance sur mineurs, la conscience de chacun demeure l’ultime obstacle à la dénonciation de tels agissements.

 

 


1 – Article 19 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ONU, 20 novembre 1989, ratifiée par la France dès 1990.

2 – Dans ce dernier cas, l’enfant n’est pas maltraité mais il vit dans un contexte familial particulièrement dégradé qui menace son développement éducatif ou matériel, marqueur d’une accélération du processus de déstabilisation des familles, Rapport 2005, Odas.

3 – Enfants victimes d’infractions pénales : guide de bonnes pratiques, Ministère de la justice, Décembre 2003, www.justice.gouv.fr .

4 – Article L 226-3 et suivants de code de l’action sociale et des familles.

5 – Article 4 du code de déontologie médicale, article R 4127-4 du code de la santé publique.

6 – Article L 1110-4 alinéa 2 du code de la santé publique.

7 – Articles 72, 73 et 95 du code de déontologie médicale, articles R 4127-72, -73 et -75 du code de la santé publique.

8 – Article 43 du code de déontologie médicale.

9 – Article 44 du code de déontologie médicale.

10 – Article 7 du décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières abrogé et intégré au code de la santé publique article R 4312-7.

11 – Article 223-6 du code pénal.

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