Les médecins et la publicité : l’exemple du Dr Kawashima

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique Evolution

Qui ne connaît pas le docteur Kawashima ? Il suffit d’allumer son téléviseur, sa radio ou de feuilleter les pages d’un magazine pour entendre parler du « Programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima » qui fait actuellement fureur sur les consoles de jeux d’une célèbre marque japonaise. Surfant sur le fantasme de l’éternelle jeunesse et sur un vieillissement de la population des principaux pays développés, ce jeu qui propose d’entretenir et même de faire rajeunir son cerveau s’est déjà vendu à 17 millions d’exemplaires depuis sa commercialisation en mai 2005.

Ryuta Kawashima est professeur de médecine, spécialiste en neuphysiologie et en imagerie cérébrale, diplômé de l’Université du Tōhoku, région située non loin du centre du Japon, pays où il est né en 1959. Il n’en est pas à son coup d’essai en matière de communication puisque son livre Train your brain: 60 Days to a better brain [Entraîner votre cerveau : 60 jours pour un meilleur cerveau, NDLR] s’est vendu à plus de 2 millions et demi d’exemplaires après sa sortie en 2003.

Que penser de tout cela sur un plan scientifique ?

Entrainement cérébralSi l’on en croit une étude française, menée par Sonia Lorant-Royer, maître de conférences en psychologie cognitive à l’IUFM d’Alsace et Alain Lieury, professeur émérite de psychologie cognitive de l’Université Rennes 2, l’entraînement cérébral serait une « imposture intellectuelle ». « La fameuse méthode de rajeunissement cérébral, médiatisée et commercialisée à grand renfort de publicité, n’a aucun effet positif notable sur les capacités de raisonnement ou de mémoire » selon leur article publié sur le site Pourlascience.fr. L’estimation de l’âge cérébral serait sujette à caution et le même individu faisant trois fois de suite le test pourrait obtenir des résultats variant de plusieurs dizaines d’années. De nombreuses publications scientifiques reconnaissent néanmoins l’intérêt de la stimulation des fonctions cognitives d’un individu âgé, alors que l’étude française porte sur des enfants. C’est d’ailleurs à cette tranche d’âges que les quatre prochaines années de recherche du Dr Kawashima seront consacrées.
Avoir fait prendre conscience au grand public qu’il fallait entretenir et développer ses facultés intellectuelles est-il un mal ? Peut-être est-il simplement temps d’expliquer aux gens qu’il y a d’autres méthodes pour y parvenir que d’utiliser une console de jeux…

Sur un plan médiatique

Sans passer dans une seule émission de vulgarisation médicale, où les praticiens français sont habitués à venir non pas faire leur publicité, mais exposer les progrès de la médecine moderne, le docteur Kawashima a réussi à devenir une référence chez les plus de cinquante ans et, même parfois, les plus jeunes en matière de neurosciences. Il est le seul médecin, avec quelques dermatologues anglo-saxons travaillant pour les industriels des cosmétiques, à être autorisé à afficher son titre et son nom sur les petits écrans de tout l’Hexagone. Non pas que les praticiens français n’aient pas les compétences pour le faire, comme doivent le penser de nombreux téléspectateurs, mais parce qu’ils n’en ont pas le droit. Pas question de voir un médecin français s’afficher dans une publicité ! La médecine nationale n’est pas un commerce, d’où cette interdiction d’utiliser les outils promotionnels modernes. Que les médecins du monde entier puissent faire leur promotion sur Internet ou sur les chaînes de radio et de télévision importe peu. La publicité sent le souffre… Que le Dr Kawashima inonde nos écrans n’a pas d’importance : il est japonais. L’honneur est sauf…

Faire de la publicité implique-t-il que l’on ait une action commerciale ou que l’on soit une personne cupide ? On peut en douter puisque le gouvernement vient de lancer une grande campagne publicitaire vantant ses diverses actions. Mais le secteur de la santé est peut-être un monde à part dont la publicité ne pourrait qu’augmenter la corruption et l’attrait pour l’argent au détriment des patients. La publicité, utilisée par la Sécurité sociale, dans le but de promouvoir des actions de santé publique, ne choque personne. Il y a donc les grandes causes pour lesquelles la publicité est noble, et les autres. On se souvient des publicités pour l’ARC…
Interdire la publicité aux médecins pour éviter les dérives est une hypocrisie. Y a-t-il plus de dérives depuis que les établissements de soins ont détourné la loi sur leurs sites Internet en oubliant que seule la publicité pour leurs services d’hôtellerie était autorisée ? L’émergence des sites des cabinets de médecins libéraux a-t-elle révolutionné les pratiques ? Est-il préférable de voir les patients s’expatrier, d’autant que les soins seront remboursés par l’assurance-maladie, pour être opérés dans des pays qui n’hésitent pas à laisser leurs professionnels de santé faire de la promotion ?

Si la santé des patients était l’argument de poids pour une telle interdiction, que penser de l’autorisation récemment donnée aux laboratoires pharmaceutiques de faire de la publicité à la télévision pour les médicaments en vente libre ? L’automédication n’a qu’un seul but : faire faire d’hypothétiques économies à la Sécurité sociale et compenser la perte de chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques à qui l’on a imposé les génériques. Publicité et cupiditéL’automédication est à l’origine d’effets iatrogènes reconnus et n’a jamais fait la preuve de son utilité pour la santé publique.

Argent = médecin dévoyé ?

Les médecins sont des hommes comme les autres. Certains succombent à la tentation ou sont atteints de folie. Pas plus ou pas moins que les autres… La probité n’est pas l’apanage d’une profession. Avoir le destin ou la vie d’un patient entre ses mains confère des responsabilités. Ces responsabilités ne sont pas incompatibles avec la nécessité de gagner sa vie, avec le désir d’investir pour mieux soigner et d’être récompensé de ses efforts. Si les honoraires ou le salaire doivent être inversement proportionnels aux responsabilités dans le domaine de la santé, le chef de l’État ou le ministre de la santé devraient être des bénévoles. C’est loin d’être le cas…
À nouveau, quel bel exemple que celui du Dr Kawashima ! Son contrat avec la société de jeux électroniques commercialisant ses jeux d’entraînement cérébral lui a rapporté, pour le moment, 22 millions de dollars [un peu plus de 17 millions d’euros, au cours actuel, NDLR]. Mais le Dr Kawashima doit aussi tenir compte du contrat qui le lie à l’Université du Tōhoku et qui prévoit que seule la moitié de ce pactole lui appartient, l’autre moitié devant rejoindre les caisses de l’Université. Reste tout de même 8,5 millions d’euros, dont sa famille espérait profiter. Que nenni ! Le professeur, déjà payé 6 500 euros par mois (dans un pays où le taux d’imposition est proche de 25 % contre 43 % en France selon l’OCDE), a décidé qu’il ne garderait pas un centime pour lui. L’argent est investi dans son outil de travail, auquel il consacre toute sa vie comme bon nombre de ses confrères. Il a déjà financé la construction d’un laboratoire de 2,6 millions d’euros pour l’Institut universitaire qui s’occupe de développement, des effets de l’âge et du cancer, où il travaille. Une seconde phase de travaux doit s’achever en mars, qui lui coûtera quant à elle 3,5 millions d’euros.

Il ne faut pas croire que cet homme soit fou. Pour preuve, il interdit à ses enfants de 14 et 22 ans de jouer avec des jeux électroniques durant la semaine et plus d’une heure tous les week-ends. Non pas que les jeux soient mauvais pour la santé, mais parce qu’il estime qu’utilisés à outrance ils sont une perte de temps et risqueraient de désociabiliser sa progéniture. Il considère aussi qu’apprendre en s’amusant est une gageure. Pour lui, les études ne sont pas faites pour divertir les jeunes, mais pour les forcer à apprendre à faire des efforts. Il préfère tirer les gens vers le haut, plutôt que de les abêtir.

Enfin, il sait que son programme d’entrainement cérébral ne l’empêchera pas de devenir sénile. « On dit que les chercheurs, spécialement ceux du domaine médical, meurent de ce qu’ils étudient. Je mourrai donc d’une maladie du cerveau » affirme-t-il avec un large sourire.

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