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Pôles d’activité et délégations de gestion dans les établissements de santé

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Les pôles travaillent dans les établissements de santéL’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a remis en février 2010 un rapport intitulé Bilan de l’organisation en pôles d’activité et des délégations de gestion mises en place dans les établissements de santé qui a été publié en mai 2010 par La documentation française.

C’est en 2005 que des ordonnances ont initié une réforme de la gouvernance hospitalière censée donner la priorité au pilotage médico-économique des établissements de santé au moment où la tarification à l’activité (T2A) se mettait en place. Cette réforme est aussi basée sur « le principe de subsidiarité : la transmission de l’autorité et des marges de décision aux échelons les plus proches de la production de soins. » Pour les auteurs de ce rapport, « Cet ample mouvement de décloisonnement des logiques médicales, administratives et soignantes devait concerner aussi bien la gouvernance de l’institution hospitalière, avec la création des conseils exécutifs, que la production de soins elle-même, avec la mise en place des pôles médicaux et médico-techniques, pilotés par des médecins et dont l’assise, plus large que celle des traditionnels services, devait permettre d’améliorer la gestion de l’activité de soins. » Le souhait de décentraliser le pouvoir décisionnaire était au coeur de ce dispositif, avec des équipes de direction devant progressivement concevoir leur intervention comme celle de services supports aux producteurs de soins que sont les pôles médicaux et médico-techniques, très loin d’une volonté politique récente tendant à faire du directeur de l’hôpital l’unique patron de l’établissement.

Entre les intentions et la réalité cinq après leur mise en pratique le constat est quelque peu amer. Faute de délégations de gestion et de moyens et malgré les efforts réalisés par les soignants pour assimiler une nouvelle culture médico-économique, cette décentralisation n’est pas vraiment au rendez-vous. La réforme déçoit : « Convaincus de la pertinence de la réforme de l’hôpital, les nombreux chefs de pôle rencontrés par la mission semblent désabusés et sceptiques sur la sincérité même de la démarche de subsidiarité. »
Si les médecins ont fait des efforts, il semble que, pour les rapporteurs de l’IGAS, ce ne soit pas le cas des équipes directoriales des établissements de santé. « Il reste à engager un important travail d’acculturation de ces équipes, qui se conçoivent encore comme l’état-major de l’hôpital et qui manifestent parfois une grande méfiance à l’égard du corps médical en général. » Difficile de comprendre que, dans le même temps, les autorités ont décidé de ne plus faire de la commission médicale d’établissement (CME) dans les hôpitaux qu’un organe consultatif.
« Plusieurs établissements comme le CH de Carcassonne, celui du Mans, ou de Gonesse, ont réalisé un investissement important dans l’ingénierie de la nouvelle gouvernance avec le recours à des consultants, la mise en place de groupes de travail, l’élaboration de contrats type, l’adaptation de règlements intérieurs, mais le passage à l’acte, au-delà du découpage en pôles, n’a pas été à la hauteur de cet investissement. Diverses raisons ont été avancées par leurs dirigeants : les hôpitaux ont dû mettre en œuvre de nombreuses réformes, dont la T2A, beaucoup doivent améliorer de manière très significative leur système d’informations et leur comptabilité analytique avant d’organiser la délégation, d’autres mènent des projets de construction ou de reconstruction, la plupart enfin connaissent une situation financière déficitaire qui “paralyse” les équipes de direction.
La mission a noté un décalage certain entre l’acculturation des médecins et les réticences des directions. On ne peut plus attendre trop longtemps face au risque de découragement des chefs de pôle. Une DRH, entendue par la mission, reconnaît que les chefs de pôle pourraient finir pas se lasser d’un exercice qu’ils considèrent comme virtuel. »

Pour les rapporteurs, de nombreuses conditions restent à réunir pour que le système puisse être pleinement efficace. « Malgré ces réserves et un relatif découragement des équipes de pôle rencontrées, les avancées sont réelles et font exclure à tous l’éventualité d’un retour en arrière. La mise en place des pôles a en effet, partout et au minimum, permis de décloisonner les entités traditionnelles, les services, et les cultures professionnelles. » Il est question de croisée des chemins. Reste à espérer que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) n’aura pas brouillé encore un peu plus les pistes…

Bien-être et efficacité au travail : le rapport

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Le stress au travail« Dix propositions pour améliorer la santé psychologique au travail », tel est le sous-titre du rapport « Bien-être et efficacité au travail » fait à la demande du Premier ministre et qui vient de lui être remis. Document centré sur les entreprises privées et présenté, entre autres, par la directrice générale des ressources humaines de Danone et le président du conseil de surveillance de Schneider Electric, ce rapport arrive à point nommé quelques jours après la courte apparition sur le site du ministère du travail de listes rouge et orange relatives aux mauvaises performances des entreprises de plus de 1 000 salariés en matière de prévention de stress au travail. Radio France Internationale ou le Secours catholique faisaient, par exemple, partie de la liste rouge. Ce “palmarès” a immédiatement fait polémique et a été retiré du site du ministère à la demande de plusieurs dizaines de sociétés figurant en son sein. Seules les entreprises présentes sur la liste verte des « bons élèves », à laquelle personne ne s’est plaint d’appartenir, peuvent encore être retrouvées sur le site gouvernemental.

Suite à ces péripéties, le rapport « Bien-être et efficacité au travail » était donc attendu avec impatience, depuis la mise en place du plan d’urgence sur la prévention des risques psychosociaux, et il est fort intéressant. Dès son avant-propos, le ton est donné : « En France, la fierté du travail bien fait occupe une place importante. » Des propos qui doivent laisser songeurs bien des citoyens…
Réorganisations, restructurations, augmentation des exigences des clients, nouvelles technologies pouvant « cannibaliser » les relations humaines ou certains comportements managériaux font partie des causes de stress au travail pour les auteurs de ce rapport, parmi lesquels ne se trouve aucun médecin de santé au travail. Il faut dire que confier les sujets relatifs à la santé aux médecins, plutôt qu’aux économistes, n’est pas dans l’air du temps, mais peut-être est-ce pour ne pas aggraver le burn-out dont souffre cette profession depuis longtemps, sans que cela déclenche la rédaction du moindre rapport officiel…

Parmi les dix propositions, il convient de relever la deuxième : « La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas : les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé. » Tout un programme pour la réforme de la santé au travail en cours de discussion et pour les futurs textes législatifs qui ne manqueront pas de faire suite à toutes ces réflexions…

 

Une politique antitabac ambitieuse au Royaume-Uni

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Interdiction de fumer au Royaume-UniLoin des hypocrisies hexagonales, la politique antitabac du Royaume-Uni est l’une des plus volontaristes dans le monde ces dernières années. Le National Health Service (NHS) estime à 380 millions de livres sterling [près de 436 millions d’euros, NDLR] par an, les économies réalisées grâce à des décisions qui mettent la santé publique au premier plan. Ceci n’empêche malheureusement pas la moitié des fumeurs “chroniques“ de mourir des méfaits du tabac, mais cela en fait efficacement diminuer le nombre, même si le NHS dépense encore, malgré tout, des milliards à rembourser les soins des accrocs au tabac et des victimes du tabagisme passif. Au moins, n’hésite-t-il pas à le faire savoir, information relayée par les pouvoirs publics, sans craindre de stigmatiser les fumeurs ou de fâcher les vendeurs de tabac.

Le gouvernement de sa très gracieuse Majesté, dans un document intitulé A Smokefree Future, un avenir sans tabac, expose clairement les grands axes de sa politique dans les années à venir à ce sujet : en finir avec le recrutement de nouveaux fumeurs chez les jeunes ; motiver et aider tous les fumeurs à arrêter ; protéger les familles et la population de la nocivité du tabac.

Ce document analyse l’impact du tabac au Royaume-Uni sur la santé publique et rappelle que l’opinion publique est largement favorable aux campagnes antitabac. Il revient aussi sur des notions souvent méconnues de la population générale, comme celle qui veut que, malgré les avertissements de santé publique apposés sur les paquets, l’emballage reste toujours le « vendeur silencieux » pour les marques de tabac. Les compagnies de tabac reconnaissent le pouvoir de l’emballage comme outil de marketing. Elles ont d’ailleurs investi des sommes considérables pour rendre les paquets séduisants et accrocheurs. Les faits montrent que, bien que les inscriptions trompeuses telles que light et mild ont été retirées des paquets, certaines couleurs d’emballage (blanc, argent et bleu clair) et d’autres caractéristiques tendent à faire croire que ces marques sont moins nocives. Les taux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone qui sont imprimés sur l’emballage peuvent également suggérer à tort que certaines marques sont plus sûres que d’autres.

Pour obtenir des résultats, il est prévu de continuer à augmenter les taxes sur le tabac tout en augmentant les efforts dans le domaine de la lutte contre la contrebande. Il est aussi question de soutenir plus efficacement les associations mettant l’accent sur la prévention et rappelant que fumer en voiture ou à son domicile fait courir un risque à son entourage. Mais le gouvernement britannique va encore plus loin puisqu’il envisage d’interdire la vente de tabac sur les sites olympiques, à Londres en 2012 et d’en faire des espaces non-fumeurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le gouvernement veut aussi élargir l’interdiction de fumer, existant déjà dans les espaces clos recevant du public et dans les entreprises, aux zones situées devant leurs portes. Fini les fumeurs sur le trottoir devant les stades, les immeubles de bureaux ou les fameux pubs anglais…

 

Vers une réforme de la médecine libérale ?

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Discours politique sur la réforme de la médecine libéraleC’est depuis Perpignan que le président de la République française a présenté ses voeux pour l’année 2010 aux personnels de santé. Profitant de sa visite au nouveau centre hospitalier de cette métropole catalane, Nicolas Sarkozy a réaffirmé que la santé était l’une des premières préoccupations des Français.

Ceux qui ont suivi les débats sur la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires adoptée en 2009, n’auront pas été surpris d’entendre le Président remercier en premier les directeurs d’hôpitaux pour le travail fourni, dont il a souhaité faire les “patrons” des établissements de soins publics. Les “ouvriers”, les cadres et personnels administratifs hospitaliers n’ont pas été oubliés. « Mais sont en première ligne aussi les cabinets libéraux, les médecins libéraux au domicile des malades qui remplissent chaque jour et chacun leur rôle dans une mission qui les honore : sauver des vies, soigner, soulager, accompagner. Il n’y a pas de mission plus noble, il n’y a pas de plus bel engagement », selon le chef de l’État. Rien concernant les infirmiers libéraux, les sages-femmes ou les masseurs kinésithérapeutes, mais il est difficile d’être exhaustif dès le début d’un tel discours.

Si la santé a été mise en avant, son aspect économique n’a pas manqué d’être évoqué. Elle est un « secteur économique déterminant » représentant « 200 milliards d’euros chaque année » et « 2 millions d’emplois ». Nul n’ignore que les pouvoirs publics cherchent toutefois à réduire les dépenses de santé et ce n’est pas un hasard si le président de la République a insisté sur le fait qu’une infirmière peut, selon lui, parfaitement assurer le suivi des personnes atteintes de maladies chroniques. En plus de pallier la carence démographique médicale engendrée par des décisions politiques antérieures, de telles mesures ont toujours été considérées comme susceptibles de représenter, à court terme, un moyen de diminuer les remboursements de l’assurance-maladie et le transfert des actes prévu par la loi HPST en est le parfait exemple. Elles ont aussi une valeur électorale non négligeable.

C’est à la fin de son discours que le chef de l’État est revenu sur le sujet de la médecine libérale. « Le médecin libéral est le premier recours. Il a un rôle absolument central. Le médecin généraliste est un repère indispensable dans notre vie quotidienne et nous aurons toujours besoin d’un médecin à proximité. » Les services publics de proximité ayant tendance à être supprimés, le secteur privé va continuer à être mis à contribution pour assurer les soins au plus près des populations. Malheureusement, le président de la République reconnaît que « l’exercice libéral a perdu de son attractivité ». En raison des nouvelles aspirations des médecins libéraux, « la médecine libérale doit être […] refondée à l’heure même où les demandes qui lui sont adressées n’ont jamais été aussi nombreuses. »

C’est à son ami Michel Legman, président du conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), que Nicolas Sarkozy a demandé d’ « inventer un nouveau modèle de soins de premier recours qui fasse toute sa place à la médecine libérale ». Des propositions, sous la forme d’un rapport, devront être remises au chef de l’Ètat au mois de mars, soit deux mois pour mettre à plat un système au sein duquel un véritable malaise s’est installé, malaise auquel le CNOM n’est pas totalement étranger si l’on en croit la crise de confiance des praticiens à l’égard de cette institution qui semble exister. Pourquoi une telle hâte dans la rédaction de ce rapport ? « Un rapport est intéressant s’il remet ses propositions rapidement et si le pouvoir politique prend les décisions dans la foulée. Notre pays croule sous les rapports interminables, exceptionnellement intelligents, tellement intelligents que personne ne les a compris. » Que de telles décisions soient prises juste après les élections régionales et loin de toute autre consultation citoyenne est sans doute un hasard.

Même si le président de la République attend un rapport, il sait déjà ce qui pose problème et il le dit. La charge administrative assurée par les médecins est « absolument anormale ». Si le problème est connu, que n’a-t-on agi plus tôt ?
« Il y a le problème de la qualité des soins et de l’évaluation. La médecine de demain est une médecine basée sur les preuves, avec des protocoles correspondant aux standards internationaux. »
Les maisons de santé et les centres de soins ambulatoires devraient être privilégiés, ainsi que la multiplicité des lieux d’exercice.
Pour le chef de l’État, il semble évident que les praticiens libéraux devront accepter de transférer des actes aux infirmiers et aux pharmaciens. « Si tout le monde veut faire la même chose, le système finit par ne plus fonctionner » : une phrase bien ambiguë qui laisse entendre que ce qui intéresse les infirmiers, les pharmaciens ou d’autres professionnels de santé ne devrait plus être confié aux médecins. Tout un programme…

Plus grave que la grippe, l’épidémie mondiale de tabagisme

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Les ravages du tabac continuentPour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a une menace bien plus grave que celle due au virus de la grippe A(H1N1) actuellement de par le monde, c’est l’épidémie mondiale de tabagisme. L’OMS vient de publier son rapport 2009 sur le sujet et les chiffres ont de quoi faire frémir. Dans le monde, par exemple, près d’un tiers des adultes sont régulièrement victimes du tabagisme passif, alors qu’il n’existe pas de seuil au-dessous duquel le tabagisme passif est sans danger. 600 000 personnes meurent chaque année du tabagisme passif sur la planète.

Même si ce chiffre progresse, seuls 9 % des pays ont pris des mesures pour que leurs bars et leurs restaurants soient non-fumeurs. 65 pays n’ont rien mis en oeuvre pour lutter contre le tabagisme passif, bien qu’une telle politique ne coûte quasiment rien, surtout comparée à l’achat de vaccins, et assure d’énormes bénéfices.
En tuant ou en handicapant des hommes et des femmes en pleine force de l’âge, le tabac prive souvent de ressources des familles entières, augmente le coût des soins de santé et entrave le développement économique. Pour l’OMS, bien qu’il existe des coûts liés aux programmes de lutte antitabac, ces coûts peuvent être très largement compensés par l’augmentation des taxes sur le tabac — qui se sont montrés très efficaces pour réduire le tabagisme.

Le tabac tue plus de 5 millions de personnes par an et ce chiffre devrait continuer à augmenter, malgré des progrès dans la lutte contre les effets délétères de cette astéridée. En 2030, ce sont plus de 8 millions de personnes qui pourraient mourir du tabac, qui représente la principale cause évitable de décès dans le monde.
Sur les 100 villes les plus importantes de tous les continents, seules 25 sont totalement non-fumeurs (les dernières en date étant Rio de Janeiro, Savador de baya et São Paulo). Mais les lobbies sont puissants et aucun progrès n’a été réalisé, en 2008, pour ce qui est d’interdire la publicité.

« Le rapport, qui suit l’évolution de l’épidémie mondiale de tabagisme, permet aux pouvoirs publics et à d’autres parties prenantes de savoir où les interventions factuelles de réduction de la demande ont été mises en œuvre et où il faut progresser davantage. Il fournit, pour chaque pays, des chiffres sur la prévalence du tabagisme et des données sur la taxation des cigarettes, l’interdiction de la publicité en faveur du tabac, de la promotion et du parrainage, l’aide au traitement de la dépendance à l’égard du tabac, l’application de lois antitabac et le suivi de l’épidémie. »

Tout cela ne devrait pas dissuader les assureurs-vie de continuer à investir dans les entreprises du tabac

La médecine : un commerce ou pas ?

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Médecine, commerce et concurrenceL’article R 4127-19 du code de la santé publique a beau prévoir que « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce », cela n’empêche pas les médecins d’être de plus en plus souvent soumis aux règles du droit commercial. À la vue de certains sites de chirurgie ou de médecine esthétique, même ceux respectant les recommandations du conseil national de l’ordre des médecins, on pourrait très vite penser avoir compris pourquoi, mais ce n’est pourtant pas dans ces domaines que le droit commercial a le plus tendance à s’imposer. Qu’elle soit le fait des praticiens eux-mêmes, d’autres professionnels de santé, de l’industrie, des assureurs ou des complémentaires santé, de la Sécurité sociale ou des pouvoirs publics le fait d’assimiler la pratique des soins au commerce conduit à des dérives qui font passer les considérations économiques, bien avant les considérations propres à la santé publique.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire le plaidoyer du Conseil de la concurrence pour son action dans le domaine de la santé dans les études thématiques de son rapport pour l’année 2008. Il va sans dire que ce travail ne se résume pas aux seuls médecins, mais de nombreuses questions les intéressant y sont traitées. À la lecture de ce document, on comprend rapidement à quel point le Conseil de la concurrence assimile la médecine à un commerce et se plaît à y appliquer le droit de la concurrence. De façon assez paradoxale, si les règles de la concurrence sont appliquées aux médecins, il n’est nulle part suggéré de laisser aux praticiens la possibilité de lutter à armes égales lorsque leurs activités font l’objet de la concurrence d’autres professionnels de santé, qu’ils soient médecins ou non, basés dans l’Hexagone ou ailleurs. Excessivement rares sont les cas où le Conseil de la concurrence semble défendre les médecins, voire même des patients, donnant plutôt l’impression de prendre le parti des intérêts commerciaux de l’industrie, des professions de santé fortement impliquées dans le commerce ou des tenants des économies de santé aux dépens de la santé publique. Peut-être la composition du Conseil de la concurrence, y est-elle pour quelque chose ?

Le Conseil de la concurrence s’amuse à citer Noël Diricq lorsqu’il affirmait dans son introduction au colloque « Concurrence et organisation du système de santé » en 2008 que « Le serment d’Hippocrate, qui est probablement l’un des plus anciens documents anticoncurrentiels de la planète […], organise déjà des marchés, et bien plus, légitime la vocation non économique du secteur ». Lorsqu’il est question d’imposer des règles interdisant la concurrence aux praticiens, il semble exister un certain contentement, mais lorsqu’il est question de restreindre la concurrence à l’encontre des médecins ou de permettre aux praticiens d’utiliser des procédés servant à les rendre concurrentiels se fait jour un consensus pour s’opposer à de telles pratiques. En matière de concurrence, les médecins paraissent avoir bien des devoirs, mais quasiment aucun droit… Il faut reconnaître qu’une partie non négligeable des médecins et des conseils de l’ordre se satisfont de cette situation. Commerce et concurrence leur paraissent des mots grossiers, incompatibles avec l’exercice d’une profession où la jalousie du confrère a plus de poids qu’une évolution nécessaire à la survie d’une profession. Étrangement, lorsqu’il est question de petits arrangements avec l’industrie pharmaceutique, les mêmes sont prêts à quelques concessions. Sans doute est-il moins culpabilisant, ce que l’on s’autorise, mais que l’on interdit aux autres.

Contrairement à d’autres professionnels de santé ou à de grands groupes industriels ou de services, les médecins n’ont pas de formation commerciale. On entretient même chez eux un sentiment de culpabilité lorsqu’il est question de dépenses de santé et d’honoraires. Les aspects de reconnaissance d’un niveau d’études, de valorisation d’une formation continue ou de paiement pour un travail de qualité sont sacrifiés sur l’autel d’une médecine sociale qui se doit d’être gratuite, peu importe son coût. Les patients sont encouragés à négocier les tarifs, y compris pour les actes conventionnés, lorsqu’ils doivent faire l’avance des frais ou quand la possibilité est donnée aux médecins de demander des dépassements d’honoraires ; d’autres voient leurs dépenses remboursées par la Sécurité sociale pour des soins qu’ils ont choisi d’aller faire réaliser dans un pays étranger, séduits par les sites de tourisme médical interdits aux praticiens français, interdiction de la concurrence en France oblige. Ces mêmes praticiens à qui l’on demande aussi maintenant de transférer leurs actes à des professionnels de santé qui n’ont, pour certains, pas de code de déontologie et qui sont rompus aux pratiques commerciales et concurrentielles depuis bien longtemps… À force de dire que la médecine n’est pas un commerce, mais de la traiter comme tel, on affaiblit les médecins et on favorise leurs concurrents. Il va bien falloir que tout le monde finisse par admettre que la médecine est un commerce, certes particulier, mais un commerce, et que les médecins sont de très loin les mieux placés pour l’exercer avec éthique dans l’intérêt de la santé publique. Peut-être est-il temps de favoriser un commerce “éthicable” de la médecine, plutôt que de la laisser aux profits purement marchands ?

Remise en question des experts médicaux

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Logo de la République françaiseLe Pôle santé du médiateur de la République arrive à point nommé dans de nombreux domaines où le pouvoir politique souhaite engager des réformes sans en avoir l’air. Le monde de l’expertise médicale fait partie de ceux-là. Après le fiasco d’Outreau et d’autres affaires où les experts médicaux ont été montrés du doigt, il aura suffi de moins d’une dizaine de plaintes 1 depuis la création de ce pôle en janvier 2009 pour que le médiateur de la République ait dans ses cartons une proposition de réforme de l’expertise médicale judiciaire. Ce document, publié début juillet 2009, montre avec quelle rapidité les services du médiateur ont réagi aux toutes premières plaintes. Quelle efficacité… D’autant qu’il est des domaines où le médiateur de la République reçoit plusieurs centaines de réclamations par an et pour lesquels des propositions n’ont vu le jour qu’après quelques années.

Passée un peu inaperçue au moment de sa sortie estivale, la proposition de réforme de l’expertise médicale judiciaire a trouvé de nouveaux échos dans les médias en ce début octobre. La chaîne de télévision M6 et le journal Le Figaro ont servi de vitrine à ce travail qui devrait être soumis fin octobre par le médiateur aux ministres de la justice et de la santé.
Alors que le reportage 2 de M6 remet en cause les qualifications et le sérieux du travail de toutes les catégories d’experts, c’est bien aux seuls experts médicaux qu’est destinée cette future réforme et ce qu’elle propose ne va pas manquer de faire s’agiter les intéressés.

Plus question de voir des médecins retraités améliorer leurs fins de mois grâce aux expertises, par exemple. Le médiateur de République insiste pour que l’inscription ou la réinscription sur une liste ne puisse se faire que si le candidat exerce toujours l’activité médicale au titre de laquelle il revendique sa qualité d’expert. La formation des candidats pourrait être mieux encadrée et la liste des diplômes permettant d’accéder au titre d’expert judiciaire mieux définie.
Le juge pourrait ne plus être le seul à avoir son mot à dire dans la désignation de l’expert, mais les parties pourraient elles aussi avoir voix au chapitre.

Dans le domaine de l’indépendance des experts et de l’impartialité des expertises, la réforme pourrait s’articuler autour de quatre axes. « Exiger de l’expert qu’il déclare préalablement à chaque désignation l’absence de tout conflit d’intérêts et qu’il confirme sa compétence dans le domaine médical concerné par la mission ». On comprend l’urgence de la démarche du médiateur de la République quand on lit cette proposition. Comment imaginer qu’un expert ne puisse être impartial et compétent ? Il semblerait malheureusement que ce ne soit pas le cas actuellement. Cette situation que beaucoup pensent défavorable au patient peut, au contraire, leur rendre service. En raison de l’hyper spécialisation de certains médecins, il n’est pas rare que le praticien mis en cause par un patient soit bien plus compétent dans le domaine qui fait l’objet du litige que l’expert, par exemple. Même grâce à la bibliographie ou en interrogeant d’autres spécialistes, il est rare que l’expert puisse acquérir un niveau de connaissances suffisant pour donner un avis circonstancié. Faute d’expérience, l’expert rendra un rapport défavorable pour le médecin sur lequel ne manquera pas de s’appuyer l’avocat du plaignant et qui servira à la décision du juge.
« Prévoir des règles de délocalisation (conduisant à faire appel à un expert en dehors de la juridiction de jugement) à la demande motivée d’une des parties. » Le nombre de médecins tendant à diminuer et les experts judiciaires en leur sein n’étant pas légion, il est fréquent que les uns et les autres se connaissent, surtout au sein d’une ville ou d’une région. Ces relations confraternelles exacerbées, voire même d’amitié, peuvent sembler nuire à l’intérêt du patient quand deux experts doivent travailler pour des parties différentes ou quand l’expert est proche du confrère mis en cause. En proposant de délocaliser les expertises, ce travail montre à quel point le médiateur de la République pense que la confraternité est nuisible à l’expression de la vérité et à l’objectivité, une confraternité pourtant sans cesse renforcée et encouragée par le code de la santé publique.
« Instaurer une incompatibilité légale entre les fonctions de médecin expert judiciaire et de médecin-conseil d’une société d’assurance. » Voilà qui devrait bouleverser le monde de l’expertise médicale. Les médecins experts, peu nombreux comme il a été expliqué, travaillent très souvent pour la justice, mais aussi pour les compagnies d’assurance. Il est inconcevable pour le médiateur de la République que l’on puisse garder son intégrité en travaillant pour deux parties, l’un public et l’autre privé. Pourquoi le législateur n’applique-t-il pas un tel principe aux attachés hospitaliers ? Pourquoi avoir autorisé les internes à effectuer une partie de leur formation dans le privé alors qu’ils sont au service du privé ? Pourquoi, enfin, les pouvoirs publics ne voient pas d’inconvénients à ce que des médecins signent des contrats avec les sociétés d’assurance lorsqu’il est question de réseaux de soins ? N’y a-t-il pas là aussi un risque que le praticien perde son intégrité au profit de celui, autre que le patient, avec qui il a une relation contractuelle ?
Les expertises judiciaires sont très mal rémunérées, surtout si on les compare à celles demandées par les assureurs. Si les médecins ne savent pas faire la part des choses, il y a fort à craindre qu’ils ne choisissent, en très grande majorité, d’exercer pour les sociétés d’assurance… De nombreux médecins secteur 1 trouvent dans cette activité un complément de revenus qui leur permet d’investir encore dans leur cabinet faute d’avoir vu leurs honoraires revalorisés. Le médiateur de la République s’est d’ailleurs intéressé aux honoraires et il propose que le juge soit en mesure de vérifier l’adéquation des honoraires demandés avec la diligence de l’expert et la complexité de l’expertise.
« Favoriser la collégialité de l’expertise dans les cas complexes ». La collégialité est l’exception dans le nouveau code de la procédure pénale. Le médiateur de la République souhaite qu’elle devienne le principe. Une telle décision, en plus d’alourdir les frais de procédure, risque de ne pas être aisée à mettre en pratique. La collégialité ne signifiant pas gain de temps, il faudra plus d’experts judiciaires si elle est mise en place.

Les experts pourraient se voir soumis à un contrôle qualité et le magistrat épaulé par des conseillers techniques. Les parties pourraient enfin demander à un service judiciaire de contrôle des expertises une évaluation d’un rapport d’expertise final, alors même qu’elles auraient eu la possibilité d’obtenir un rapport d’étape pouvant être discuté de façon contradictoire.

Depuis 2004, une formation initiale et continue, une période probatoire de deux ans, puis une réinscription sur les listes tous les cinq ans sont imposées aux médecins experts. Les témoignages semblent pourtant être nombreux de Français insatisfaits. L’expertise médicale, qu’elle soit faite pour la justice ou pour les assureurs, pose un véritable problème de confiance. Une crise de confiance qui n’affecte pas seulement les médecins, mais aussi la justice et le pouvoir politique. D’autres sujets de réflexion pour le médiateur de la République ?

 

 


1— Extrait de l’article « Santé : les petits arrangements entre experts » du journal Le Figaro du 6 octobre 2009 : « Depuis la création du Pôle santé, en janvier dernier, une dizaine de plaintes ont été adressées à ce service qui travaille auprès du médiateur de la République. “Mais on s’aperçoit que dans un nombre très important de dossiers, l’expertise médicale est une source de doutes”, indique Loïc Ricour, directeur du Pôle. Selon lui, les victimes se plaignent de délais excessivement longs, de conclusions incohérentes et non motivées ou encore d’une absence d’écoute. »

2— Enquête exclusive — Indemnisations, accidents, procès : les experts sur la sellette. Diffusé par M6 le 4 octobre 2009.

La santé dans le rapport de l’OCDE 2009

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L'OCDE s'intéresse aux prix des médicamentsLa santé et le commerce sont de plus en plus souvent confondus par les instances politiques, les autorités de santé et même un certain nombre de professionnels de santé. Vendeurs de médicaments et de dispositifs médicaux y trouvent leurs intérêts. La Sécurité sociale, elle-même, peut tirer avantage à voir des soins ou des produits considérés comme des biens de consommation qu’elle n’aura pas à rembourser et dont elle laissera la charge aux complémentaires santé ou à la charge du “consommateur”.

Le commerce n’est pas l’économie, mais ces deux entités sont intimement liées et il est donc logique que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ait consacré, comme chaque année, des passages de son rapport à la santé, d’autant que cette dernière « contribue largement aux activités de production des économies de l’OCDE. » Cette année est particulièrement importante, en raison de la crise économique, car « la part du PIB [produit intérieur brut, NDLR] consacrée à la santé tend fortement à augmenter pendant les périodes de ralentissement économique ».

Le rapport 2009 revient sur des travaux effectués en 2008, comme l’impact des produits contrefaits sur la santé ou sur des travaux montrant l’impact des politiques environnementales sur les dépenses de santé.

L’OCDE s’est aussi intéressée à la mondialisation du personnel médical. Elle rappelle qu’en 2005, le nombre moyen de diplômés des écoles de médecine est moins élevé que celui de 1985 alors que la hausse des revenus des habitants des pays membres de l’OCDE, les nouvelles technologies médicales et la spécialisation accrue des services de santé impliquent toujours plus de demandes et de personnels. À ceci viennent s’ajouter la réduction du temps de travail, le développement du temps partiel et le vieillissement de la population. La seule augmentation des moyens de formation ne suffira pas à répondre à ces demandes.

N’ayant pas voulu ou su anticiper ces besoins, de nombreux pays de l’OCDE ont recours depuis quelques années à du personnel infirmier et à des médecins issus du marché du travail international. Solution efficace à court terme, elle pose de véritables questions éthiques et économiques, comme l’a montré un autre rapport de l’OCDE, rédigé conjointement avec l’Organisation mondiale de la santé, intitulé Les personnels de santé dans les pays de l’OCDE : comment répondre à la crise imminente ?

Indépendamment de cette mondialisation, l’OCDE souligne que la performance du système de santé turc s’est nettement améliorée ces dernières années. Ce pays, qui frappe à la porte de l’Union européenne, a néanmoins de nombreux défis à relever dans le domaine de l’offre de soins et de la prise en charge de ses populations. Un rapport a été élaboré dans le but de l’y aider par l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Le marché des médicaments ne pouvait échapper à l’analyse de l’OCDE. Les dépenses pharmaceutiques sont celles qui ont augmenté le plus rapidement parmi les dépenses de santé. Elles peuvent désormais atteindre jusqu’à 2 % du revenu national, comme c’est le cas en République slovaque. Il est intéressant de noter qu’en fixant le prix des médicaments et en jouant sur leur remboursement, des pays de l’OCDE ont affecté « la disponibilité des médicaments au-delà de leurs frontières, ainsi que l’innovation médicale ». Un autre travail de l’OCDE, intitulé Les prix des médicaments sur un marché global : Politiques et enjeux revient aussi sur ces questions.

Dans son chapitre consacré à l’économie Internet, l’OCDE considère que « les consultations médicales en ligne pourraient améliorer l’efficacité du système de santé, notamment pour les personnes âgées ».

L’OCDE insiste enfin sur la nécessité de mesurer les performances des différents systèmes de santé à l’aide d’indicateurs standardisés et fiables. « L’élaboration et l’expérimentation d’indicateurs de qualité des soins par l’OCDE est l’initiative internationale la plus ambitieuse de suivi pour ce type d’indicateurs. »

Réduire la notion de santé aux seuls montants de ses dépenses est une tendance qui prévaut depuis de nombreuses années. Il n’est pas certain qu’elle aboutisse à une amélioration de la qualité des soins…

 

Le futur des cadres hospitaliers

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Cadres hospitaliers et managementLa directrice de l’institut du management de l’école des hautes études de la santé publique, Chantal de Singly, voit son rapport de mission cadres hospitaliers publié par la Documentation française. Soutenu par le cabinet du ministre de la santé, ce travail propose une définition fonctionnelle du cadre de santé. Management d’équipes et d’organisations, transversalité et responsabilité de projet, expertise et formation sont les quatre fonctions principales reconnues à ces 45 000 employés 1 des établissements de santé. Allant au-delà des qualifications statutaires, cette définition donne déjà un aperçu de l’évolution que pourrait connaître cette profession dans les années qui viennent si les propositions du rapport étaient mises en application.

L’analyse du travail hospitalier faite par cette mission est intéressante : « On n’exerce pas à l’hôpital par hasard. Compétence, déontologie, respect : ce sont bien là les marques distinctives de toute profession hospitalière quels que soient les qualifications, les origines, les métiers, la place occupée. » Dans ce contexte, le cadre de santé a une place à part et déterminante pour les experts en raison de l’ « exercice à un haut niveau de risques encourus, de visibilité sociale et d’attention médiatique. »

La mission décline pas moins de trente-six propositions, selon six grands axes. Faire du cadre de santé un véritable manager de l’équipe soignante, jugé sur la réalisation d’objectifs, est l’une de ses propositions. Établir une présence des représentants d’un collège cadre à la commission médicale d’établissement (CME) ou inclure dans le référentiel de certification de la Haute Autorité de santé un item sur l’implication des cadres hospitaliers dans les processus de décision en sont d’autres. Le management est vraiment le maître mot de ce rapport et il est suggéré de créer les Instituts supérieurs du management en santé, au niveau régional ou interrégional pour la formation initiale des cadres et le développement des compétences managériales de l’ensemble des managers hospitaliers (cadres, médecins managers et directeurs). Il conviendrait aussi de dédier des programmes hospitaliers de recherche clinique à la recherche en management impliquant des cadres.
La reconnaissance universitaire de la formation pour devenir cadre hospitalier et l’obtention d’un niveau master sont des points importants pour les auteurs du rapport. Une façon de favoriser l’harmonisation européenne des diplômes ? Il est aussi question de revaloriser les statuts et la rémunération des cadres hospitaliers. Atteindre les objectifs fixés devrait permettre de gagner plus.

Maillon indispensable du pouvoir administratif au service du respect des objectifs, les cadres hospitaliers ne devraient pas manquer d’obtenir les faveurs du législateur.

 


1— Chiffre de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) pour les effectifs 2007.

 

 

Refus de soins et nouvelles propositions du fonds CMU

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Refus de soins et patient CMULe fonds CMU (fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie) a réussi, il y a un peu plus de trois ans, à jeter l’opprobre sur tous les médecins grâce à un testing truffé d’incohérences et d’idées reçues, aux résultats peu fiables, mais repris très vite par les médias et la classe politique. Alors que la loi le permet sous certaines conditions, conseiller au patient de respecter le parcours de soins ou lui demander de bien vouloir mettre sa carte vitale à jour avant de venir consulter ont été présentés comme des refus de soins intolérables au nom d’une déontologie galvaudée et d’un politiquement correct très tendance.  Ce document n’a cessé, depuis sa parution en juin 2006, d’être source de débats et ses suites ont même fait l’objet d’articles dans le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).

S’il est facile de comprendre que les médias avides de sensationnel aient pu oublier le sens critique censé animer le journalisme, il est plus surprenant de penser que les services du ministère de la santé, à la tête duquel officiait Xavier Bertrand à l’époque, ne se soient pas rendu compte du manque d’objectivité et de l’absence de fiabilité de cette « Analyse des attitudes de médecins et de dentistes à l’égard des patients bénéficiant de la Couverture Maladie universelle ». Sans des consignes politiques fortes, comment imaginer que des fonctionnaires compétents aient pu laisser une affaire comme celle-ci prendre une telle ampleur ? La volonté du pouvoir d’affaiblir les médecins et les dentistes, à un moment où de rudes négociations se profilaient dans le but de les “fonctionnariser” un peu plus les praticiens est probable. Le vieux rêve consistant à penser qu’une médecine d’État permettrait de faire des économies de santé est très présent dans les hautes sphères. Que le système français ait été classé comme le meilleur au monde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a que peu d’importance et le gouffre de la Sécurité sociale semble imposer que l’on privilégie l’économie à la qualité.  Différents rapports et d’autres études, basés sur les mêmes a priori ou sur le rapport du fonds CMU de 2006, se sont succédé depuis, renforçant l’idée que tous les médecins pouvaient être soupçonnés de discrimination, à tel point que même le conseil national de leur ordre a cru bon de céder au politiquement correct en appelant les patients à dénoncer les praticiens suspects. L’assurance-maladie et son personnel zélé dans un tel cas ont, bien entendu, reçu la mission de faire sanctionner les médecins incriminés, en oubliant bien souvent la présomption d’innocence, la même dont jouissent pourtant les assassins multirécidivistes.
Roselyne Bachelot continue sur cette voie puisqu’elle a missionné le fonds CMU pour réaliser le quatrième rapport d’évaluation de la loi CMU en demandant à ce que soit portée une attention toute particulière au problème des refus de soins aux bénéficiaires de la CMU-C. Ce rapport vient d’être transmis au parlement par le gouvernement et il est fort probable que plusieurs nouvelles propositions du fonds CMU soient reprises dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2010.

Quatre propositions concernent particulièrement les médecins et le refus de soins :

— « Donner juridiquement une valeur probante au testing et ouvrir la possibilité de sanction directe par la caisse. » Cette idée n’est pas nouvelle puisqu’elle figurait déjà dans le projet de loi HPST. Une majorité de parlementaires l’ont rejetée à la mi 2009, mais l’avis des élus semblent ne pas avoir été entendu et, aidée sans doute par une nouvelle campagne médiatique arrivant à point nommée, il est vraisemblable qu’elle sera à nouveau présentée aux députés et aux sénateurs, avec en plus une inversion de la charge de la preuve obligeant les cabinets médicaux à enregistrer et à conserver tous les échanges avec les patients afin de pouvoir se défendre ;

— « Adapter le panier de soins en y ajoutant des forfaits de prises en charge particuliers pour des soins non pris en charge par l’assurance maladie. » Les patients bénéficiaires de la CMU-C se verraient offrir la possibilité d’être remboursés de soins qui ne sont pas pris en charge pour les autres assurés, comme les soins de médecine esthétique ou l’adaptation des lentilles de contact, par exemple. Mais instaurer un tel forfait, c’est surtout contraindre les médecins à honoraires “libres” à appliquer un tarif imposé pour des soins habituellement jugés par l’assurance-maladie comme des soins non indispensables. Nicolas Sarkozy a clairement affiché sa volonté de voir disparaître les dépassements d’honoraires des médecins du secteur 2, c’est une façon de les affaiblir un peu plus. C’est aussi une façon de remettre au pas, les médecins secteurs 1 qui trouvent souvent dans la pratique de soins non pris en charge par la Sécurité sociale un complément de revenus les autorisant à continuer à investir dans leur cabinet ou à employer du personnel ;

— « Aboutir, dans le cadre des négociations conventionnelles, à une revalorisation des consultations des bénéficiaires de la CMU-C. » Il faut bien donner l’impression qu’au moins l’une des propositions n’est pas défavorable aux médecins, d’autant qu’elle n’a aucune chance d’être acceptée dans un contexte où les économies de santé sont le maître mot des réformes. Le principe de discrimination positive était déjà présent dans l’analyse de 2006. Le médecin pourrait voir son travail mieux rémunéré au prétexte qu’il soigne un patient CMU. Alors que l’on présente la grande majorité des médecins comme cupides au point de pratiquer une discrimination basée sur leurs intérêts financiers, il est proposé de mieux rémunérer les soins pour une partie de la population. N’y a-t-il pas un risque de voir les praticiens avides inverser leur discrimination en faveur des patients CMU-C ? Les auteurs du rapport savent très bien que de nombreux médecins n’agissent pas avec le symbole Euro miroitant dans leurs prunelles, habitués qu’ils sont à faire des actes gratuits ou à moduler leurs honoraires en fonction des difficultés financières des patients, mais bien parce qu’ils sont las d’être confrontés à un « J’y ai droit » méprisant ou à des difficultés pour se faire rembourser les soins qu’ils ont dispensé par l’assurance-maladie ;

— « Introduire un indicateur de suivi des refus de soins dans la loi de finances de l’État ou dans la loi de financement de la sécurité sociale. » Il s’agit là de la seule proposition qui puisse ne pas nuire aux praticiens. À condition, bien entendu, que l’indicateur soit objectif et que les mesures soient réalisées par un ou des organismes réellement indépendants du pouvoir ou du fonds CMU. Une telle analyse pourrait aller à l’encontre des idées reçues et du politiquement correct et redonner son éclat au dévouement dont la très grande majorité des médecins fait preuve à l’égard des patients.

 

Rien d’étonnant à ce qu’aucune proposition ne soit faite pour responsabiliser les patients bénéficiaires de la CMU-C, cela n’a rien de médiatique et ne relève pas du “positivement” correct…