Le travail aidé : complémentarité ophtalmologie – orthoptie

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique La parole à...

Responsable d’un service d’exploration fonctionnelle de la vision et d’un centre de basse vision, impliqué dans plusieurs associations pour la défense des patients malvoyants, habitué depuis plus de dix ans au travail aidé, le docteur Xavier Zanlonghi a accepté de répondre aux questions de Droit-medical.com.


La délégation des tâches, dans le domaine médical, n’est pas une idée nouvelle mais elle commence être exploitée à l’échelle nationale. L’évolution de la démographie médicale sera telle dans les prochaines années que malgré l’augmentation du numerus clausus, le nombre de médecins risque de ne pas être suffisant pour répondre à tous les besoins de soins. Le professeur Yvon Berland vient de remettre son rapport au ministre de la santé intitulé « Démographie médicale hospitalière » dans lequel il insiste à nouveau sur la nécessité de déléguer certaines tâches médicales. Notons que dans son précédent rapport intitulé « Coopération des professions de santé : le transfert des tâches et de compétences« , le professeur Berland avait clairement désigné l’orthoptiste comme le collaborateur de l’ophtalmologiste pour le travail aidé.  

Droit-medical.com – Vous êtes ophtalmologiste, spécialisé en exploration fonctionnelle et en basse vision, et vous employez des auxiliaires médicaux (orthoptistes) : pourquoi avoir fait ce choix ?

X.Zanlonghi – C’est un choix naturel et logique :

– naturel, car les orthoptistes sont des professionnels de la santé formés dans les facultés de médecine au sein des services d’ophtalmologie ;
– logique, car leur compétence déjà importante s’accroît rapidement, en même temps que l’évolution des techniques en ophtalmologie.

De ce fait, la qualité de la prise en charge des patients s’en trouve améliorée. En effet, de par leur décret de compétence, les orthoptistes sont les plus à même de réaliser un bilan visuel fonctionnel et les examens complémentaires nécessaires au diagnostic fonctionnel et au suivi du patient.

Pour la basse vision, les orthoptistes permettent de répondre, en plusieurs temps, de façon complète au patient grâce à la complémentarité médecin-orthoptiste :
-le temps médical (accueil, examen clinique, informations et conseils) enrichi par des examens complémentaires. Il dépend en grande partie des examens réalisés par les orthoptistes, souvent avant la consultation, à la demande de l’ophtalmologiste traitant qui a adressé son patient au centre d’explorations fonctionnelles. Il sera, après une analyse sereine des résultats par le médecin, au besoin après avoir obtenu des précisions de l’ophtalmologiste traitant, à l’origine éventuelle d’autres examens complémentaires ;
-le temps du bilan basse vision dépendant totalement des orthoptistes comme le prévoit leur compétence ;
-le temps des aides techniques, c’est-à-dire les essais d’appareils (de la simple loupe jusqu’à la synthèse vocale) aidant le patient à surmonter son handicap visuel. C’est une étape où l’orthoptiste a un rôle majeur dans ces essais, dans l’acceptation des appareils et la rééducation de la basse vision ;
-le temps social, car il est nécessaire de renseigner les patients sur leurs droits sociaux. Grâce à une synthèse des temps précédents, en commun avec l’orthoptiste, le médecin sera en mesure d’affiner les certificats médicaux pour la COTOREP- CDES – MDPH et pour l’assurance maladie, permettant ainsi une meilleure prise en charge du patient.

Même quand il ne s’agit pas de basse vision, mais d’explorations dans le cadre du dépistage, du bilan ou du suivi de maladies (glaucome, diabète, etc.), les orthoptistes réalisent les examens complémentaires nécessaires pour répondre aux questions posées par les ophtalmologistes et les médecins traitants. Elles sont toujours un atout supplémentaire dans la prise en charge du patient en redonnant des explications au patient, en l’aidant à se détendre face à une machine, etc. Les orthoptistes ont aussi une compétence en matière de rééducation et de suivi de l’amblyopie [enfant dont un œil voit beaucoup moins bien que l’autre, <i>ndlr</i>.] très apprécié des jeunes mamans, une grande majorité des orthoptistes étant des femmes.

Autre avantage : une humanisation encore plus forte grâce à un langage et à une approche différents du patient par le collaborateur. Par exemple l’annonce du handicap visuel, où les orthoptistes avec leur propre sensibilité, leur disponibilité plus grande et leur compétence, vont formuler un discours différent du discours médical ophtalmologique pur. Le contact avec l’orthoptiste donne un second temps d’explications, mais aussi un temps d’écoute supplémentaire. Il est reconnu que le patient ne confie pas les mêmes choses à l’infirmière et au médecin ; il en est de même concernant orthoptiste et ophtalmologiste. Grâce au travail d’équipe avec des collaborateurs orthoptistes, les attentes du patient sont mieux prises en compte.

Droit-medical.com – L’exercice de la médecine est personnel, n’est-il pas dangereux de laisser la réalisation des examens à un auxiliaire médical ?

X.Zanlonghi – Non. Dans dans une structure médicalisée et grâce à la qualité de la formation des orthoptistes en France, grâce aussi à la formation interne au sein de la structure, il n’y a pas de risque pour le patient. De nombreuses formations, dispensées par des organismes reconnus par la Haute autorité de santé (comme la Société française d’ophtalmologie), sont en place pour assurer la continuité de l’enseignement universitaire de qualité reçu par les orthoptistes. Dès le début de leurs études, les orthoptistes travaillent en collaboration avec les médecins et ont une connaissance parfaite des limites des compétences de chacun.

La mise en place de protocoles écrits permet aussi de sécuriser le travail au sein du cabinet, comme cela se pratique en milieu hospitalier ou en clinique. De plus, les patients ont déjà vu un médecin (l’ophtalmologiste traitant ou le médecin du centre d’exploration) qui a donné les informations concernant l’examen, sachant que la plupart des examens sont considérés comme non invasifs.

Les praticiens gardent la responsabilité de la prescription et des actes. Le médecin chargé de l’exploration reste, bien entendu, le référent pour l’orthoptiste. Il est toujours disponible et il a le niveau nécessaire pour réaliser lui-même les examens au besoin. Il y a délégation de l’acte, mais pas abandon de l’acte par le médecin.
La grande majorité des cabinets d’ophtalmologistes en France s’est engagée dans un processus de certification ISO 9001. Cette démarche qualité comprend des questionnaires de satisfaction. Les premiers résultats montrent que les patients ressentent une amélioration de la qualité des soins dans les cabinets où le travail aidé a été mis en place. Plutôt qu’une perte de chance, c’est une sécurité de plus pour le patient.

Droit-medical.com –
N’y a-t-il pas un risque pour l’interprétation des examens ainsi pratiqués ?

X.Zanlonghi – Non, au contraire : les orthoptistes préparent l’interprétation médicale. En plus de la confiance qu’il a en ses collaborateurs, le médecin dispose de moyens objectifs lui permettant de savoir si l’examen s’est déroulé normalement. Les fabricants de matériel ont prévu un système de contrôle automatique du bon déroulement des examens complémentaires. Le résultat de ces contrôles apparaît sur ce que va interpréter le praticien. Si l’on peut à la rigueur remettre en question la fiabilité d’une machine, pourquoi remettrait-on en cause en plus la fiabilité de l’orthoptiste. Ce dernier a déjà la possibilité de réaliser des examens de vision sur ordonnance sous sa propre responsabilité, de par la loi. Il a été formé à réaliser les examens complémentaires et à les surveiller en collaboration directe avec le médecin. Cette compétence est reconnue puisque, pour l’exploration du champ visuel par exemple, les orthoptistes peuvent réaliser l’examen et encaisser les honoraires en conséquence. Ils ne peuvent, bien entendu, pas l’interpréter ayant bien compris que cela engageait leur responsabilité.
Quand on voit que l’on développe des systèmes sensés permettre aux machines de faire un diagnostic toutes seules, cela prête à sourire. Dans des cas d’urgence extrême, comme les défibrillateurs cardiaques automatiques, passe encore, mais dans la pratique courante, l’expérience humaine reste indispensable.  

Droit-medical.com – Le travail aidé est-il jusqu’à maintenant reconnu ?

X.Zanlonghi – Tout dépend du niveau auquel on se place.

D’un point de vue médical et paramédical : oui. De nombreux rapports, comme le rapport Berland, et de nombreuses expériences, comme la mienne, montrent la nécessité de développer le travail aidé par des collaborateurs compétents. Les textes législatifs progressent petit à petit dans ce sens, comme plusieurs articles de la loi sur le plan de financement de la sécurité sociale 2007 le confirment. L’image du médecin travaillant seul, au sein d’un cabinet isolé, n’a plus cours. L’importance du travail aidé dans le dépistage est aussi majeure. En fonction de la compétence de chacun, sous contrôle médical pour ne pas alarmer inutilement des patients qui perdraient ainsi confiance, le dépistage précoce de maladies est important pour tous les patients potentiels que nous sommes. Ce rôle des médecins (traitant, du travail, spécialistes, etc.) est très largement sous-estimé par les citoyens dans notre pays. Les ophtalmologistes détectent, aux stades les plus précoces, des maladies cardiaques (hypertension artérielle, par exemple), neurologiques (glaucome, accident vasculaire cérébral, sclérose en plaques, etc.), endocriniennes (diabète, problèmes thyroïdiens, etc.), infectieuses, génétiques, etc. , permettant une prise en charge moins coûteuse à la société et évitant à beaucoup de patients bien des tracas. Cela est possible grâce aux longues années de médecine, pas juste en pressant quelques boutons. La formation médicale continue permet de suivre l’évolution très rapide des techniques et des connaissances. La formation universitaire des orthoptistes, à son niveau, va dans le même sens.

D’un point de vue financier : il est très peu reconnu. Dans le monde médico-social, le temps de synthèse est payé. En médecine libérale, ce temps de réflexion ne l’est pas. Nous sommes dans une période où la tendance est aux économies de santé alors que les investissements en matériel et en personnel compétent (travail aidé oblige) sont croissants. La démographie médicale est en baisse alors que la demande d’accès aux soins est en hausse. Les orthoptistes et les médecins qui doivent investir dans du matériel de pointe, surtout s’ils sont conventionnés secteur 1, sont très loin d’être des nantis. Seuls leur dévouement pour les patients et l’amour de leur métier leur permettent de continuer.

 

 
Propos recueillis par Bertrand Hue

 


Pour d’autres informations :

Rapport d’étape de la haute Autorité de santé (HAS) intitulé « Délégation, transfert, nouveaux métiers… Conditions des nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé »

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