Médecin collaborateur libéral : du pour et du contre…

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique Variations

« Remplacer » son remplaçant régulier par un médecin collaborateur libéral, voilà qui peut paraître séduisant pour un médecin installé. L’impression de sécurité donnée par un contrat officialisant une remplacement régulier peut rassurer un remplaçant qui craint pour sa stabilité. Mais tout cela n’est-il pas un miroir aux alouettes ?

Le contrat de médecin collaborateur libéral a vu le jour suite à la loi nº 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. Ce collaborateur exerce à titre libéral et le conseil de l’Ordre en a déduit qu’il entrait « dans le champ d’application de la convention médicale qui s’applique à tous les médecins en exercice libéral, en vertu de l’article L.162-5 du code de la sécurité sociale »1.

Quel secteur conventionnel ?

Le remplaçant bénéficie du secteur conventionnel du médecin qu’il remplace. Le secteur du médecin collaborateur libéral est, à ce jour, encore sujet à discussion. Aucun souci lorsque les deux médecins ont le droit et décident d’exercer dans le même secteur conventionnel. Les choses se compliquent quand le médecin collaborateur ne possède pas les titres requis pour accéder au secteur 2 et qu’il signe un contrat avec un confrère installé dans ce secteur. Le souhait du conseil de l’Ordre est que le médecin collaborateur bénéficie du secteur conventionnel du médecin titulaire afin que les médecins secteur 2 puissent trouver un médecin collaborateur, mais aussi afin de ne pas nier l’esprit de collaboration (mêmes conditions et modalités d’exercice).Médecin à l'écoute Il n’est pas de notre propos de discuter ce souhait. Comme nous le verrons plus loin, le collaborateur va constituer sa propre « patientèle », terme non moins exact que celui de clientèle. Le collaborateur d’un titulaire secteur 2 ne pourrait pas en bénéficier pour ses propres patients s’il n’a pas les qualifications requises (ancien chef de clinique – assistant, ancien assistant…). Cela va-t-il impliquer une double comptabilité et un exercice avec des modalités et des conditions différentes pour ce médecin en fonction du patient ?
Prenons l’exemple inverse : un médecin secteur 1 qui trouve un collaborateur qui a, à titre personnel, la possibilité d’accéder au secteur 2 ; cette situation, dans certaines régions et certaines spécialités, devient fréquente puisque le nombre de médecins ayant suivi un post-internat qualifiant pour le choix du secteur augmente. Le collaborateur va-t-il être contraint de renoncer au secteur 2 et être obligé de prendre le secteur 1 du médecin titulaire ? Cette obligation sera-t-elle définitive et sera-t-elle considérée comme le premier choix du secteur conventionnel ? Le contrat de médecin collaborateur est fait pour aider à l’installation, perspective voulue par le législateur. Une telle mesure contraignante serait la négation du travail de post-internat et des avantages qui s’y attachent. Elle serait un véritable frein à l’installation et à la collaboration dans un tel cas. Il semblerait plus judicieux que le médecin collaborateur ayant les qualifications requises pour exercer dans l’un ou l’autre des principaux secteurs conventionnels ait le choix du secteur dans lequel il souhaite exercer, ou tout du moins qu’il soit clairement établi, dans un texte connu de tous, que le secteur imposé par la collaboration n’est pas définitif. Une confusion semblable à celle qui existe avec le contrat de tenue de poste d’un médecin décédé serait une menace pour le bon développement des contrats de médecin collaborateur libéral.

Les écueils du contrat

Les commentaires du contrat type du conseil de l’Ordre rappellent que « conformément au code de déontologie, la collaboration n’est envisageable qu’entre deux praticiens de même discipline ».
Si l’esprit de la loi du 2 août 2005 est de faciliter l’installation ultérieure du collaborateur, ce statut n’oblige en rien le collaborateur à franchir le pas. Il peut se contenter de cette situation et rester collaborateur aussi longtemps que les deux parties y consentent. Cette collaboration peut s’exercer à temps partiel. Il convient de préciser le nombre de demi-journées par semaine (et même de les spécifier si l’on en croit le contrat type, ce qui ôte toute flexibilité à un temps partiel, sur une période mensuelle par exemple). Il ne s’agit, bien entendu, que d’un contrat type mais on connaît la réticence du conseil de l’Ordre aux remplacements réguliers du même praticien ou aux remplacements de longue durée au prétexte de la liberté de choix du médecin par le patient ou au nom de la continuité des soins. L’information du patient veut que les « jours et heures des consultations » des deux médecins soient indiqués sur leurs plaques, sur leurs ordonnances et dans la salle d’attente, là encore la flexibilité n’est pas possible.
L’un des objectifs de ce contrat est que le médecin collaborateur puisse se constituer une « clientèle » qui sera appréciée trimestriellement. Cette appréciation a pour but d’éviter les éventuels conflits souvent rencontrés en ce domaine. Comment déterminer si le patient est associé au collaborateur ou au titulaire ? Etre choisi comme médecin traitant pourrait être un élément pour les généralistes (sachant que rien n’empêche un patient de choisir un spécialiste comme médecin traitant). Deux types de feuilles de soins sont envisagées, l’un où le statut de médecin collaborateur est inscrit et l’autre au nom propre du médecin. Charge à ce dernier de donner la bonne feuille de soins au patient ce qui peut, là aussi, être à l’origine de conflits. D’autant que, contrairement au remplaçant, le médecin collaborateur perçoit directement ses honoraires.

Faciliter la cession de clientèle…

Plaçons-nous du côté du patient et prenons un cabinet où le titulaire est en secteur 2 et le collaborateur en secteur 1 pour sa « clientèle » personnelle. Quel intérêt pour le patient de rester dans la « clientèle » du médecin secteur 2 avec dépassement d’honoraires ? Le titulaire ne va-t-il pas voir ainsi sa propre « clientèle » fondre comme neige au soleil ? Puisqu’il est question de cession, qu’en sera-t-il au moment où le titulaire voudra céder sa « clientèle », cela ne lui portera-t-il pas préjudice, cette dernière étant de ce fait bien moins conséquente ? Rien n’empêche d’imaginer qu’après quelque temps la « clientèle » d’un collaborateur à temps plein ne soit ainsi devenue plus importante que celle du titulaire !
Poursuivons sur le sujet de la cession de « clientèle ». Les deux parties ont la faculté de mettre fin au contrat soit durant la période d’essai, soit en cas de déconventionnement de l’une des parties, soit au terme du contrat s’il est à durée déterminée ou avec une préavis de six mois pour ceux à durée indéterminée. Il existe d’autres situations où la rupture du contrat est envisagée. Mais dans tous les cas, qu’adviendra-t-il en cas de rupture ou de non reconduction du contrat ?Deux médecins Le collaborateur doit, par contrat, proposer en première intention sa « clientèle » au titulaire du cabinet. En cas de bonne entente, tout devrait bien se passer. Mais s’il y a rupture, on peut craindre que le climat ne soit pas aussi serein, surtout si l’origine du problème est l’évaluation de la « clientèle ». Si le titulaire refuse l’offre de cession du collaborateur, ce dernier peut céder son fichier patient personnel (contenu dans le logiciel du titulaire en cas d’informatisation) à un autre médecin installé dans un cabinet différent. Le personnel du médecin titulaire devra informer les patients de l’ancien collaborateur de cette cession et leur recommander d’aller consulter auprès d’un autre cabinet. Les commentaires du conseil de l’Ordre souhaitent même que cette information soit facilitée ! Là encore, la différence de secteurs pourra jouer en faveur ou en défaveur du patient, du titulaire ou du collaborateur, avec dans chaque cas la possibilité de conflits… Rien n’empêchera le collaborateur d’ouvrir un cabinet en face de celui du titulaire puisque le collaborateur, à l’issue du contrat, « conserve sa liberté d’installation ». Aucune limitation géographique au lieu d’installation n’est possible dans l’esprit du contrat de médecin collaborateur alors qu’elle existe pour les contrats de remplacement.
Le sujet de la cession de « clientèle » est aussi intéressant à explorer. Pendant de nombreuses années, l’incessibilité directe de la clientèle privée a été affirmée par les tribunaux. Le biais de la présentation à la clientèle avait permis de contourner cet obstacle. Deux grands principes à cela : un patient n’est pas un objet de commerce et rien ne doit pouvoir altérer le libre choix donné au patient quant à son médecin. Le lecteur voulant approfondir ce sujet pourra se reporter à l’ouvrage du Pr Gérard Mémeteau2. Ce n’est que récemment que la Cour de cassation a admis la notion de cession de clientèle médicale, avec comme condition que cette cession n’altère pas le libre choix du patient3. Les commentaires du conseil de l’Ordre concernant le contrat qui nous intéresse prévoit que le médecin collaborateur pourra céder sa clientèle à titre gratuit ou à titre onéreux. C’est lui qui évaluera la valeur de cette « clientèle ».

Collaborateur ou remplaçant ?

D’autres points vont soulever de nouvelles questions pour les médecins. Le problème de la redevance, versée par le collaborateur au titulaire pour l’utilisation du cabinet, considérée par l’administration fiscale comme un loyer et entrant de ce fait dans le champ d’application de la TVA. « Un dispositif de franchise fiscale de base de TVA dispense les assujettis à la TVA des obligations de déclaration et de paiement dès lors que le montant de la redevance annuelle qu’ils perçoivent est inférieure à 27 000 euros ». Actuellement le remplaçant bénéficie d’un reversement d’honoraires du médecin remplacé. Suivant les spécialités et les circonstances, ce reversement est effectué sous la forme d’un pourcentage des honoraires perçus pour le médecin remplacé qui est variable, en général de 30 à 80 %. Ce pourcentage dépend souvent des frais de fonctionnement du cabinet. Pour un collaborateur à temps plein, en fonction de la spécialité et du pourcentage envisagé pour la redevance, il est évident que cette franchise sera dépassée.
Le congé maternité est pris en compte pour la collaboratrice (douze semaines) avec une clause interdisant toute rupture de contrat durant cette période, leçon tirée des conflits apparus suite aux contrats d’avocat collaborateur.
Les remplaçants ont-ils du mal à trouver un lieu d’exercice ? Actuellement, il ne semble pas que cela soit le cas. Y a-t-il un avantage à signer un contrat de collaborateur quand on fait des remplacements réguliers ? Rien n’est moins sûr. Et lorsque l’on est titulaire, que l’on a un ou des remplaçants, est-il intéressant de laisser une « clientèle » parallèle ainsi se constituer ? Augmenter l’activité du cabinet signifie augmenter la charge de travail de son personnel, l’usure de son matériel (mais aussi son amortissement), ses charges de fonctionnement. Une activité en parallèle signifie des locaux adaptés, du personnel et du matériel.
Le dispositif envisagé va favoriser la transmission d’un cabinet. Il sera difficile d’envisager une indemnité de présentation à la clientèle pour un médecin qui aura été le collaborateur du titulaire et qui aura déjà été amené à s’occuper de façon régulière des patients. Ce dispositif va aussi favoriser le regroupement des médecins, déjà dans l’air du temps, en privilégiant les zones où la densité médicale est déjà importante.
On peut envisager qu’un médecin titulaire souhaite se faire remplacer durant ses vacances ou à l’occasion d’un problème de santé. Le collaborateur prendra-t-il le statut de remplaçant pour les demi-journées où il ne travaille pas comme collaborateur ? Le médecin collaborateur peut lui aussi avoir envie de se faire remplacer. Sera-t-il autorisé à le faire ? Pourra-t-il choisir le remplaçant qui lui convient ? Le titulaire pourra-t-il imposer un remplaçant à sa collaboratrice en congé de maternité afin de ne pas avoir à gérer deux clientèles de front ?
Que d’interrogations sur une mesure attendue depuis si longtemps. L’expérience la plus proche de celle des médecins est apportée par les chirurgiens-dentistes et a montré ses limites. Devenir ou prendre un médecin collaborateur libéral doit amener une véritable réflexion avant de signer le contrat.

 


1 : Commentaires du contrat type de médecin collaborateur libéral (Conseil National de l’Ordre des Médecins, accès médecin), sous réserve de confirmation par le directeur général  de la Caisse nationale d’assurance maladie et par le Ministre de la Santé.

2 : Mémeteau G. Cours de droit médical. Ed. Les études hospitalières, 2003.

3 : Cass. civ. 1ère , 7 nov. 2000.

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